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Aléa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Au dernier moment, comme un système logique. »

Roland Barthes, L’empire des signes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aléa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1.

« J’avais besoin que tu sois folle, j’en avais besoin pour ne pas mourir. »

George Bataille. Le Bleu du Ciel.

 

 

 

 

 

Cette belle gueule

d’ange tout de travers

mais tout aussi bête

que ses travers.

 

 

De l’avance que l’on a

sur nos lectures et la nuit

sauver les apparences

quand bien même il n’y aurait rien

à sauver.

 

 

Emporter au fond de soi

Le peu qu’il reste de son mensonge

Cette part égale

Qui faisait son charme.

 

 

Et réfléchir encore

A quand nous vivions tous

Dans des cavernes

Mais comme des hommes

Et comme en pleine création.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

2.

« Ce don qui tient sa promesse et qui ne trahit pas est en soi une éthique. »

François Cheng. Cinq méditations sur la beauté.

 

 

 

 

 

la veille de l’alignement des astres

le monde comme il tourne sur lui-même

         s’abimer dans la réflexion de ses propres abimes

buter enfin contre l’horizon

 

 

de l’autre côté

l’éternité se repose

et les étoiles sans nombre

ne nous sont d’aucune distraction

 

 

on se rappelle leurs premiers mots

toutes ses nuits passées à lire

entre deux biberons

et la magie que nous entretenions

 

 

on alimentait le ciel de ses rêves

prêt à retourner la terre entière

maintenant on trie les poubelles

et on accommode les restes.

 

 

 

*

 

 

 

3.                                                        

« Je voulais l’aimer de toutes mes forces. Mais toutes mes forces n’y suffisaient pas. »

Katherine Pancol. J’étais là avant.

 

 

 

 

 

Dans sa prodigieuse et exubérante banalité

Reformuler l’éternel et y mêler ses rêves.

 

Infiniment plus dans tes bras et comme écrasés

Nous savons tromper l’ennui devant sa télé.

 

Et quand la mort nous donnerait enfin raison

Nous n’aurons rien connu d’autre du monde.  

 

 

 

*

 

4.

« Le poète se dit encore qu’il aimerait baiser… il se dit bien autre chose encore. »

Desnos. La liberté ou l’amour.

 

 

 

 

 

La mort à portée de main

Mais profiter de son élan

De ce que la mort encore

Emprunte à la poésie.

 

On sort d’un rêve

Comme on finit un poème

Où se confond la fin

Avec la veille.

 

Mais ses rêves se répètent

Comme au-delà des mots

                   Et sa nature se révèle

                   En même temps que le jour se lève.

 

 

 

*

 

5.

« L’idée que l’aversion, l’amertume et le mépris puissent jamais prendre en mon cœur la place qu’y tint jadis l’amour m’attriste profondément. »

Oscar Wilde. De Profundis.

 

 

 

 

 

Des hommes on préfère

Celui qui de ses mains

Se passe d’un cerveau

Mais ne manque pas d’ambition

Ni de sommeil

 

Celui qui passe

Encore pour un saint

Quand en vérité

Il n’y a pas pire espèce

En réalité

 

Et l’on devine

Comme à chaque fois qu’il peut rendre service

A quoi s’en tenir

                   Aussi ne se gêne-t-il pas

                   Et nous donne encore des leçons

 

Il ne dépasse jamais

L’inertie de son objet

         N’a jamais rien retenu

D’un seul poème

                   N’ayant pas plus d’esprit que d’éthique

                  

Mais on l’aime aussi  

Pour ses combines

         Quand ne pouvant plus desserrer les dents et que seul

                   L’on ne désir rien de plus

                   Sinon que d’être seul

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

6.

« Si je pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit de ses pas. »

J. L. Borges. l’aleph.

 

 

 

 

 

C’était compter

Mais à rebours.

C’était sans compter

Compter pour rien.

 

C’est avoir touché le fond

Et creuser encore.

Prendre la peine

D’aller à ta rencontre.

 

C’était ensemble

                                                  Être de trop.

Mais ensemble

Comme sa condition.

 

C’est finir un vers

Un poème après l’autre.

Et tout relire

Ce qui déjà se voit proscrit.

 

Et la nuit

Plus qu’elle ne pèse.

C’est maintenant

Prendre le temps.

 

 

 

*

 

7.

« Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaitre la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. »

Saint-Exupéry. Terre des hommes.

 

 

 

 

 

Te rattraper d’un vers à l’autre

Alors que l’on a à peine

De quoi vivre

 

Te rattraper d’un rêve à l’autre

Tandis que les astres se compliquent

Et que le ciel reste

Irrésolument vide

 

Te rattraper d’un vers à l’autre

Quand l’on est déjà de trop

Ou encore sous morphine

 

Te rattraper d’un rêve à l’autre

Comme dans un lit trop grand

Et s’accorder encore le temps

D’avoir de l’avenir

 

 

 

*

 

 

 

8.

« Aimer ses ennemis (c’est en cela […] le véritable héroïsme de l’homme en société) et mille autres choses. »

Restif de La Bretonne. Lettre d’un singe aux êtres de son espèce.

 

 

 

 

 

De longues heures ainsi passées

Des nuits entières sans intimité

Dans une chambre aux fenêtres condamnées

 

Et tout le long de longs couloirs

A guetter encore le ciel

Et ne pouvoir s’y faire

 

Ce qui est humain et ne l’est déjà plus

Et je continue d’écrire ce qui ressemble à de la poésie

A croire encore en l’avenir comme aux ovnis

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9.

« Han sier ingen verdens ting. »

Henrik Ibsen. Vildanden.

 

 

 

 

 

se bouffer le cul

ou se suffire à soi-même

mais gros

de son autre moitié

 

passer une main dans tes cheveux

ou te serrer de plus près

en pleine nuit

comme entre tes cuisses

 

des ailes dans le dos

déborder chaque trait

ou prendre le risque

de se faire encore baiser

 

un verre à la main

ou devant son clavier

avant de s’écrouler

d’autant d’inepties et de statistiques

 

alors que les dieux expirent

sans être remplacés

et que la mort s’orchestre

sans plus de poésie

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

10.

« Il s’agit de ce qu’on aime et connaît, de ce qui est bouleversant… »

Jacques Prévert. HebdRomadaires.

 

 

 

 

 

Tu rentres si souvent

Tard bien après manger

De ces réunions de travail

Des dossiers plein les bras

de chiffres et de mandats

 

C’est à peine

Si nous avons le temps

D’échanger un mot

De prendre un café

et je reste avec les enfants

 

Tu as rdv chez le médecin

Et demain une fois arrêté

Nous aurons quelques jours

Pour nous rattraper

et profiter du jardin

 

*

 

Ce midi

A courir sous la pluie

De l’école à la maison

Toutes les trois

comme des folles

 

Je retourne au bureau

La vaisselle est faite

Ce matin je faisais encore une lessive

Et j’ai étendu le linge après

avoir fait la poussière

 

Et le soleil aussi

Peut maintenant traverser

Plus facilement

Les chambres et le salon

et la salle de bain brille

 

*

 

Enfin sous les draps

Et entre les plis

Nous savons encore

Les mots qu’il faut se dire

et qu’on ne se lasse de répéter

 

Tout est rangé

Et les devoirs sont faits

On traine

Les volets sont fermés

on joue parterre

 

Elles auront pris leur bain

Et lavé les cheveux

Nettoyé les oreilles

Et coupé les ongles

et leurs sacs sont prêts

 

*

 

Je sors les poubelles

Je ramasse quelques jouets

Sans faire de bruit

Et je m’installe avec un livre

et un verre

 

Je leur ai encore raconté plein d’histoires

Où l’on ne trouve ni loup ni clown

Et j’invente à mesure

Des personnages qui nous ressemblent

sans le côté obscur mais d’autant plus vrai

 

On les entend encore rire et chuchoter

Et se relever sur la pointe des pieds

Pour aller encore boire une dernière fois

Avant enfin d’aller se coucher

et nous les laissons faire exprès pour encore les embrasser

 

 

 

*

 

 

 

 

11.

« Un peu au-delà de moi-même, en ce rendez-vous qui sera nôtre. »

St-Exupéry. Lettre à un otage.

 

 

 

 

 

Ne plus pouvoir quitter sa chambre qu’en fauteuil

Et toute la journée à regarder dehors

Autant la circulation que le temps qui passe

Et la nuit prier

Ou s’abrutir devant la télé

 

On se force à vieillir

Comme pour se rassurer

N’ayant plus rien

A rajouter à ce qui n’est plus

Que des souvenirs

 

Je reste ainsi

Et dans ma bulle et sans causer

Ou je me noie encore dans un vers

Comme on aimait se perdre

A se caresser et en baisers

 

Où dans l’extravagante lucidité de sa présence

Quand l’azur n’est plus d’aucun intérêt

Retourner alors à ses lectures

Comme s’il nous fallait encore douter

De ne plus avoir à douter de rien

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

12.

« Anaxgoras appelle le bon principe Intelligence, et le mauvais Infini.»

Plutarque. Traité d’Isis et d’Osiris.

 

 

 

 

 

On marche sur la tête

Ou l’on se révèle

Tout pareil

Comme nous l’avons toujours été

 

Tandis que le jour se lève

Et que la nuit déborde

De ses grands yeux

Son propre accident

 

La nature controversée

De ses sentiments

Ne nous aimant

Jamais assez ni de trop

 

Où les maux se dérobent

Chaque fois aux sens

A son idylle

Comme le plus simplement du monde

 

Mais en multiplier les mots

Et nous rattraper encore

Comme par la taille

Et en répéter l’expérience

 

De nouveau les forfaits

Jusqu’à ce que l’on nous trompe

D’un côté comme de l’autre

Et que tout ne soit plus que de sa faute

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

13.

« Proposer le silence avec des mots. »

Sartre. Plaidoyer pour les intellectuels.

 

 

 

 

 

A la manière qu’a le jour de tomber

Chaque fois de la même manière

Et la lune de se projeter

Comme à l’angle d’une fenêtre

         Et de nous rire au nez

 

Inventer de nouveaux jeux

Bien que les règles soient toujours les mêmes

Mais comme pour se distraire

De l’exigeante intempestivité d’un vers

Comme s’il était le dernier

                                                     

Se faire encore surprendre

Alors que le soleil se lève

         Et le soleil se lève

         Et nous nous laissons surprendre

         Plus loin que la fin elle-même  

 

Alors que son ombre seule

Se prolonge encore

         Bien au-delà de sa chambre

Et de ce que les maux encore nous délivrent

De sa propre évidence comme une éclaircie

 

 

 

*

 

 

14.

« Nous irons nous faire roi quelque part. »

Marivaux, Arlequin poli par l’amour.

 

 

 

 

 

Aspiré par le fond

Je n’offre plus aucune résistance

Bien qu’il n’y ait pas de fond

Mais l’immensité derrière ses volets fermés

 

Autrement ne rien faire

Occupé toute la journée

A ranger des livres et boire du café

 

*

 

Les enfants sont grands et vivent à l’étranger   

Où l’on s’est nous aussi rencontrés

Si jeunes il y a déjà plus de 20 ans

 

Tu es mariée maintenant

Et tu auras beaucoup voyagé

Où le sable est brulant et les montagnes enneigées 

Où l’horizon se perd au-delà de l’horizon

 

*

 

Enfermé à clef comme dans 20m²

Avant que la faim ne l’emporte

Ou nous rappelle

La place que prend un vers

 

Alors que tout s’emmêle et qu’il pleut averse

Et que la planète se dérègle

Attendre encore que le téléphone sonne ou du courrier

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

15.

« Tout le reste doit être vrai, c’est-à-dire d’une illusion complète. »

Rivarol. Pensées, répliques et portraits.

 

 

 

 

 

elle ne craint pas tant

nous décevoir tant

elle a de l’emprise

 

et lui se donne des airs

et ne manque pas d’aplomb

tout aussi lâche qu’indifférent

 

et je souris bêtement

Rome aussi a eu ses traitres

et plus de gladiateurs que de poètes

 

 

 

*

 

 

 

 

16.

« Je n’ai pas assez de foi en la nature humaine pour être anarchiste. »

John Dos Passos, l’initiation d’un homme.

 

 

 

 

 

Des milliers de kilomètres passés

Au-dessus du ciel

Pour enfin voir le soleil se coucher

Et l’on s’étonne du mal

Plus grand que tout

Mais dont la cause nous est égale

 

(Tu le croiras ou pas

mais le journal télévisé de 13 heures commence

par des nouvelles du père noël… 

Et il y a de quoi se demander

si nous n’avons jamais fait de progrès.)

 

Ça se prend en photos ou ça fait des vidéos

Ça se prend pour une princesse ou un héros

Et ça se suffit avec la moitié

D’un neurone

Et parce que ça leur est bien assez

Ça passe le reste du temps à la salle de sport

 

(Tu imagines

tout occupés qu’ils sont

d’eux-mêmes

et devoir passer du temps en leur compagnie

quand on peut être seul avec un livre)

 

Ils ont toujours cette haleine sucrée

Et ils aiment encore se déguiser

Voire presque se mettre en danger

Pour autant qu’il n’y a pas de risque pour leur santé

C’est autant des aventuriers

Que de fins gourmets

 

(Aussi tu sais

par expérience

ce que c’est que de se faire baiser

comme entre nous en exaspérer les faits

et ce sans plus en éprouver le moindre effet)

 

 

 

*

 

 

17.

« Il n’y a que la licorne que l’on ne puisse pas reconnaître. »

Borges/Guerrero, manuel de zoologie fantastique.

 

 

 

 

 

Regarder les étoiles

et du bout des doigts

         comme si de rien n’était

         tel un jour d’été avant l’orage

                   derrière quelque vitre sale

tout redessiner

 

 

De mémoire

plus qu’il nous en faut

         hanté comme par ton souvenir

         usée d’en avoir autant

essuyé les maux

                   et maintenant y survire

                    

 

Quand en pleine nuit

c’est en nage que nous nous relevons

         c’est en partie

         l’intransigeante difficulté d’être

                   c’est au fond

                   ne plus rien omettre

 

 

Et c’est à peine

si j’arrive encore à peser

         toujours dans la balance

         mais personne ne devine

                   toutes les larmes que tu as pu causer

                   toutes ses larmes que je n’ai pu sécher

 

 

 

*

                  

 

 

 

18.

« Quand il n’y a plus de solution, reste la vengeance. Vieille histoire qui aggrave l’histoire. »

Daniel Pennac, Messieurs les enfants.

 

 

 

 

 

maintenant que le soleil est tombé

et que ses pleurs ont séché

en silence

c’est en silence

que l’on se remaquille et que l’on se change

 

maintenant renvoyé à sa seule présence

comme à sa propre intimité

une fois suffit

et il aura suffit d’une fois

pour que nous n’échangions plus que des banalités

 

on aiguise ses vers

sans manquer de naturel plus que de retenue

et nous nous retrouvons

autrement nues

en son inaltérable proximité

 

mais infiniment à tes côtés

comme si nous étions invincibles

où seuls au monde

nous sommes plus grands encore

que n’est encore son mensonge

 

 

 

*

 

 

 

 

19.

« Il est des absences définitives, qui révèlent l’insuffisance de tout ce qui nous est proposé. »

Ferdinand Alquié, Le désir d’éternité.

 

 

 

 

 

Chacun devant son verre

Ou rêvant à plein poumon

Quand ils sont des millions

A mendier leur misère

 

Des maux que l’on tait

Cette partie de soi

Plus qu’éternelle

Gros de son autre moitié

 

Si une vie pouvait suffire

Si seulement

L’on coïncidait avec l’avenir

S’il y avait encore de quoi en rire

 

On écrit

Des vers que personne ne lit

On corrige quelques poèmes

Dans sa prison de verre

 

De longs poèmes

Jusqu’à retrouver le sommeil

En même temps

Que l’on se recroqueville sur soi-même

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

20.

« Octobre aux teintes d’or a décliné vers le triste Novembre. »

T.S. Eliot, Meurtre dans la cathédrale.

 

 

 

 

 

On se connait par cœur

Pour tout autant en manquer

Ou nous serions libres et juste

Fabuleux

 

Tous ces rêves que nous faisons

Comme en pleine nuit

Mais à deux          

Pour y donner vie

 

Ce qui fait aussi de nous

Des monstres

Malgré tout

Merveilleux et spectaculaires

 

Et sa réflexion se poursuit

Aussi bien

Au-delà des leçons qu’on en tire

Que dessus son oreiller

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21.

« C’est un processus épuisant de se concentrer sur le sens exact des mots. Nous ne pouvons nous résoudre à n’être plus que de froid monticule de verre. »

Virginia Woolf, Essais choisis.

 

 

 

 

 

C’est encore avoir de la veine que de flotter

Au-dessus de sa propre merde.

 

On fait des gosses puis un jour tout a changé

Et l’on se révèle tout pareil pire que l’on a été.

 

Nos convictions s’arrêtent là où commence notre confort

C’est qu’à défaut d’esprit on ne manque pas d’égo.

 

On s’ouvre au monde tellement on lui ressemble

Faut dire que l’on n’est jamais aussi mauvais qu’en société.

 

*

 

Mais ce qu’il faut redoubler

De talent

Pour se passer de génie.

 

Et comme on se passe de poésie

Certains se passent même de cerveau

Et se rendent ainsi la vie plus facile.

 

Ne souffrent plus

Aucune comparaison ni aucun malaise

Bien au contraire.

 

Mais à leur rire se mesure

Plus que leur mépris

Mais leur médiocrité.

 

Et nous n’avons à nous faire d’illusion

Quant à leurs intentions tellement ils sont

Idiots.

 

Aussi ils savent

Se rendre quand ils veulent

Tout aussi abjects que vils et grossiers.

 

*

 

Toutes ces fois où il nous a été donné et la nuit

De nous retirer sans concurrence plus qu’avec son objet.

 

Chaque jour qu’il a fallu se trainer comme à tes côtés

Dans cet univers où nous sommes encore tout entier.

 

Où comme personne nous sommes encore

Liés à cette partie de soi la plus éphémère.

 

Mais en partie et plus que la moitié

Le choix de toute une vie pour autant de sacrifice.

 

Mais avec l’âge et à force de cérémonies

Dans l’abandon même de ce qui encore nous est ravi.

 

*

 

Tu souris maintenant au moindre mot

Et c’est à peine

S’ils méritent notre attention

Tellement ils sont

Aussi veules qu’arrogants.

 

Ils se moquent bien

De ce qui fait un roman

De ce que la mort nous réserve

Du sang qu’ils versent

Et de tourner en rond.

 

Ils ont autant d’imagination que de projet

Ils sont tout

Aussi frustrés qu’ils peuvent être cruels

Mais d’une écrasante légèreté

Par-dessus le marché.

 

*

 

Trop humain pour n’être que de chair

L’on est vite

Complice de leurs crimes

A moins que l’on préfère

Se brûler la cervelle.

 

Ou l’on évite

Tant il sue, se goinfre et se répète

Tant il est vulgaire

De se prêter au jeu

Quand l’on ne pourrait pas s’en défaire.

 

On voudrait prendre de la hauteur

Partager encore le même rêve

Tous les deux

Mais on lévite

Comme on garde l’équilibre.

 

*

 

Ou l’on en fait plus qu’à sa tête

Pour ne plus faire d’effort

 

Ou l’on en vient à tout gâcher

Comme si l’on n’y pouvait rien.

 

Ou nous nous retrouvons

A l’envers d’un maux. 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

22.

« On n’aime pas bien ce qu’on aime pas plus que tout. »

Maurice Merleau-Ponty, sens et non-sens.

 

 

 

 

 

croquer l’infini

et en immortaliser les traits

mais l’inénarrable        

 

et sans intermédiaire

le temps d’un vers

couper court à ses rêves

 

ouvrir grand portes et fenêtres

chasser son ombre

de sous ses paupières

 

et reprendre du café

rivaliser avec l’éternel

comme avec les ténèbres

 

à l’exact opposé du monde

où la terre n’est plus

encombrée par ses morts

 

ni plus

par ce qui se passe dehors

ni dans sa tête

 

 

 

*

 

 

 

 

 

23.

« Les animaux les plus agressifs sont également les plus portés à la parade. »

Edward T. Hall, La dimension cachée.

 

 

 

 

 

alors que nous refaisons surface 

étranger comme à soi-même

mais encore irrésistiblement soi

 

les dieux s’amusent

toujours un peu

avec chacun de nous.

 

*

 

alors que la planète se rétrécie

comme depuis notre rencontre

derrière

la maigre épaisseur de ses carreaux

 

on essaie encore

de faire pencher la balance

plus que de moitié

ou de n’y prêter plus aucune attention.

 

 

 

*

                                                       

 

 

 

 

 

 

24.

« L’obscur sentiment d’un devoir plus grand que celui d’aimer. »

Antoine de St-Exupéry, Vol de nuit.

 

        

 

 

 

Ça va à la salle deux trois fois par semaine

Ça fait du vélo, du paddle, de l’aviron

Ça se prend pour une vedette et ça l’ouvre trop

Et à la moindre occasion vous tourne le dos

 

Ça passe tous ses étés au bord d’une piscine

Et l’hiver à faire des crêpes

Et encore tous ses weekends à élaborer des plans

Pour l’année prochaine

 

Ça lit son horoscope et les faits divers

Ça boit des cocktails et raffole de fruit de mer

Ça n’a pas peur de se compromettre

Et ça vous la fait à l’envers sans se poser de question

 

Ça a le sommeil profond

Et ça n’aime rien tant que se faire tirer le portrait

Ça n’a jamais rien lu d’Artaud

Mais ça croit aux extraterrestres comme aux fantômes

 

 

Ça promène son chien et ça a des lapins

Et encore des poules dans son jardin

Ça aime la chanson et ça va

Au cinéma pour autant que ça reste de la fiction

 

Ça fait parfois du cheval et ça se rend à des expos

C’est à peine si ça c’est tenir un stylo

Mais ça peut toujours avoir une grosse moto

Et ça ne va au théâtre que pour faire impression

 

Ça n’a d’autre souci que de bien s’habiller

Ça suit la météo de près et ça possède encore un chéquier

Ça n’admire rien tant que son reflet

Et ça préfère encore aller au restaurant que dans un musée

 

Ça se joue de tout et ça ne se prive de rien

Et ne fait que jurer pour un rien

Et c’est à grand renfort de testostérones

Qu’il essaie de passer pour un homme

 

 

Ça ne rend de compte à personne

Mais sa réputation est déjà faite

Alors ça finit par faire votre procès

Et pèse tout comme ça peut vous écraser

 

Ça remonte le temps

Et ça ne vous laisse aucune chance

Et tandis que ça fait son numéro et encore la déco

Ça croit en conjurer le sort

 

Et les journées sont longues et les nuits difficiles

Quand on ne sait pas à quoi s’en tenir

Avant que n’arrive quelque messie

Pour en racler toute la merde dont nous faisons l’économie

 

Et quand on ne vit plus que par procuration

Et que ce qui nous rend mortel à la fois nous console

Ou qu’il nous faille se priver l’un de l’autre

Je me replonge dans Husserl, Kierkegaard, Kant ou Hegel.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

25.

« Il n’est rien au monde qu’[il] sache faire ou ait envie de faire ; il lui suffit d’avoir de quoi fumer. »

Italo Calvino, Le corbeau vient le dernier.

 

 

 

 

 

C’est en raison du nombre contempler le ciel

Mais s’allonger dans l’herbe sans rien en tirer.

 

C’est son fantôme que rien n’empêche

Un corps dont il ne reste plus que le dessin à la craie.

 

C’est un vers après l’autre

Ce n’est parfois que son ombre.

 

C’est à mesure que ses traits se creusent

C’est l’oubli plus cruel que la mort elle-même.

 

 

C’est dans des cages d’escaliers

Ou dans quelque grand lit défait.

 

C’est par la force des choses

Se remettre sinon à rêver.

 

C’est se reprendre là où on a pêché

C’est encore de longues balades en forêt.

 

C’est avoir les crocs

Et c’est t’aimer encore de trop.

 

 

C’est tout

Ce à quoi nous faisons défaut.

 

C’est sinon l’imposture

Tout ce mâle qui manque de relief.

 

C’est tout ce dont seules

Ce qui nous arrivent encore de mieux.

 

C’est encore avoir du cœur

Quand c’est tout ce qu’il nous reste.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

26.

« Toute théorie de la peinture est une métaphysique. »

Merleau-Ponty, L’œil et l’Esprit.

 

                               

 

 

                                                                          

Entre Ezra Pound et Fernando Pessoa

Ces six derniers mois

J’ai sauté bien des repas

 

De Vincent Van Gogh à Frida Kahlo

Tout ce qui sort du cadre s’aligne

D’autant plus de zéros

 

Claudel contre Camille

Rodin contre Camille

Et son matricule en dit tout aussi long

 

On tire à balles réelles

Ou l’on se réfugie dans la prière

Et ni Einstein ni Arendt ne nous sont d’aucune aide

 

Et ton nom encore sur les lèvres

Je reprends

E.M. Cioran ainsi que Platon.

 

 

 

*

 

 

27.

« Cimenter nos draps de plaisir et saturé l’air de ce que nous sommes ! »

Daniel Pennac, Aux fruits de la passion.

 

 

 

 

 

chacun leur tour

ils tondent ou ils bricolent

pire que des gosses

sans plus de conversation que d’imagination

 

ils filent

         le dimanche au marché

                            en vélo tout rajeunit de santé

                            mais c’est aussi à leur haleine qu’on les reconnait

 

ils ont l’accent forcé de leur métier

         plein de dévotion et d’imprécations

                            et n’ont d’autre luxe que leur manque d’éducation

                           

ils vont bien sûr au zoo

         et dans des parcs d’attractions

                            et font encore du bateau ou de l’aviron

 

 

et ils iraient volontiers

         visiter quelque pays en guerre

                            prendre des photos et le soir à l’hôtel

profiter du folklore et briller encore

 

ils préfèrent à l’art ce que la mode a de plus délétère

         et se couvrent de tatouages

                            tellement ils sont ordinaires

                                              

tu comprends alors

quelle haine sincère ils vouent aux poètes

                            et le grotesque de notre situation

                            comme en ces périodes de fêtes et d’absolution

 

et c’est pourquoi nous sommes ainsi

         livrés à nous-même tandis qu’ils sont en plein délire

les seuls à désobéir aux dieux et à s’en réjouir

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

28.

« Nous sommes maintenant dans la vie comme des singes à l’opéra. »

Michel Houellebecq, Non réconcilié.

 

 

 

 

 

Tourner la page

sans plus faire d’histoire.

 

Une jambe dans le plâtre

le sommeil est long à venir.

 

Je termine un poème

mille fois et me relis à haute voix.

 

On met longtemps à guérir   

on observe la circulation et l’avancée des travaux.

 

On obéit à l’évolution

on envisage toutes les fins possibles.

 

Et l’on chevauche quelque dragon

tout en restant sur le dos.

 

 

 

*

 

 

29.

« Examiner non le mystère métaphysique de la conjonction, mais le mystère pratique et politique de la séparation. »

Giorgio Agamben, L’ouvert.

 

 

 

 

 

N’être plus que ce que l’on est

et d’autant plus

pour l’avoir toujours été

et maintenant de trop.

 

Ne plus douter le moins du monde

de la fin du monde

chaque jour égalant le précédant

demain sera aussi le dernier.

 

A défaut d’avoir les mots

écrire de longs poèmes

de ceux qui en disent long

mais ne sont d’aucun attrait.

 

Et comme si cela ne suffisait pas

une seule fois aura suffi

à vider les maux de leur secret

à les extirper de leur indissociable moitié.

 

Mais l’on se lasse de tout

où ne pouvant être différent

on retourne sa veste

pour se retrouver pareil tout comme avant.

 

Mai son mal est plus grand

                   et ne vit que de ses excès

mais comme un fait exprès

s’excuse encore de sa lâcheté.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

30.

« Plus ils seront proches de la perfection de leur métier, moins pourra-t-on discerner l’ouvrage de l’un de celui de l’autre. Il en est tout au contraire des artistes. »

Paul Valery, Degas.

 

 

 

 

 

c’est tout

ce à quoi l’on nous a fait croire

c’est en soigner les maux

 

c’est tout

ce qui déborde de la page

et que l’on tait

 

c’est tout

ce sur quoi nous avons mis une croix

ce dont nous n’avons pas idée

 

et l’émoi

retranché d’entre ces vers

quand devant tout ce que son corps suggère

 

il ne reste plus

qu’elles et moi

et c’est tout

 

 

 

*

 

 

 

31.

« Le jour fut long comme une année et plein d’une ivresse sans nuit. »

Victor Segalen, Stèles.

 

 

 

 

 

N’en plus finir d’observer par la fenêtre

Le calme une fois revenu plus haut dans le ciel

Possédé par la folle idée d’être soi

Privé de l’infini possibilité d’être soi

Et passer des heures devant son clavier

à tout recopier.

 

Continuer de remplir sa bibliothèque

Où chaque lecture s’additionne entres elles

                   Et prend la poussière

Mais de cette irréconciliable tentation d’être

                                      C’est toute la place que prend un vers

                                      et les faits les plus ordinaires.

 

Ou l’on finit par se réfugier dans la prière

Et dans la passion contraignante d’être soi

                   Alors que les maux se répètent

                   Sans jamais trouver d’écho

                                      Mais parce que l’on ne peut s’extraire

                                      de la seule exaspération de ses rêves.

 

Comme l’on essuie d’un revers

Tout ce qui nous rappelle

                   L’unanimité d’être soi

                   Dans l’exacerbation de sa propre personne

                                      Comme n’appartenant plus à ce monde

                                      que par négligence ou analogie.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

32.

« De même qu’il redoutait alors de ne pouvoir jamais être véritablement un homme, de même il craint aujourd’hui de ne plus pouvoir jamais être un véritable poète. »

Stephan Zweig, Le Combat avec le démon.

 

 

 

 

 

Nous irons voir la mer

et nous irons pieds nus

je m’allongerai les seins nus

et tu y déposeras un vers.

 

 

Eternels vertébrés

au milieu de nos draps défaits

sur tes lèvres

tous mes rêves sont encore à l’arrêt.

 

 

Alors que le ciel s’étire

loin au-dessus

des bancs d’école et de ses figures

ton empire se précise.

 

 

Et l’on se surprend encore

à chercher ses mots

au moment même de défaillir

et de reprendre vie.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

33.

« Une certaine représentation de la société qui serait réellement humanisée. »

Raymond Aron, Le spectateur engagé.

 

 

 

 

 

De la somme de nos lectures

à l’objet de notre rencontre

 

De ce qu’exige les dieux

et son irrévocable nudité

 

*

 

Toutes ces villes bâties sans gaité

et ces ruines du bout du monde

 

Cette implacable nature

toutes ses figures du passé

 

*

 

Une fois sous les draps

récupérer notre retard

 

Jusque très tard

comme bien après la fin

 

 

 

*

 

 

 

34.

« C’est grossir mes douleurs que de taire ma peine. »

Corneille, L’Illusion comique.

 

 

 

 

Je suis mort

comme un lundi

sans que le ciel

n’ait plus rien à ajouter

 

et le ciel était si beau

qu’il n’y avait plus rien sinon au ciel

pour retenir mon attention

 

Je suis mort

une première fois

il y a de cela bien longtemps

 

Après une longue nuit

à engloutir bien des kilomètres

et alors que le soleil se levait

ça n’avait pas encore suffi.

 

 

Je suis mort

une nouvelle fois

et encore une fois

de trop 

 

Un jour après l’école

comme s’il m’attendait

déjà à l’avance

 

Je suis mort

sans qu’entre temps

cela ne soit pour de vrai

comme par accident

 

Mais tant de fois

sans manquer à personne

que j’ai pu recommencé.

 

                                            

Laissant au vers

le soin

de faire que je remue encore

je suis mort si souvent

 

Par manque de fantaisie

je suis

d’entre les morts

mort depuis si longtemps

 

Que ça me fait marrer

comme à chaque fois

que ma tête explose

 

ou que l’on se voit

cloué au lit

comme revenir encore à soi.

 

 

 

*

 

 

 

35.

« Du rêve : ainsi du couple : naît l’obscène du ménage. »

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux.

 

 

 

Si le monde nous est égal

et les rues pleines de monde

        

Si l’amour et ses chaines

nous retiennent encore

 

Si rien ne manque

de ce qui arrive

 

Quand il en manquerait

plus de la moitié

 

Quand tout ce qui arrive

ne fait que passer.

 

*

 

Nous reconnaissant à peine

comme ce que nous avons été

 

Mais alignant les mots

comme pour les vider de leur secret

 

Au risque d’être soi

plus gros que son autre moitié

 

On lit un livre

sans trop rien y comprendre

 

Et l’on se donne du mal

à bien y penser.

 

*

 

Et arrive un jour

où l’on ne cicatrise plus

 

Où l’on tâte l’avenir

à l’aide d’une canne

 

Où il nous faut boire encore

de grands bols de café

 

Nous débattant devant son miroir  

comme entre ses draps

 

Comme si revenant à soi

Nous n’attendions plus que les secours.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

36.

« L’éternel conflit entre la connaissance telle qu’elle se conçoit et l’ignorance telle qu’elle se vit. »

Daniel Pennac, Chagrin d’école.

 

 

 

 

 

Ce qu’il nous faut être

         superficiel

         pour avoir encore des choses à se dire

     et jeune encore

     à moins de ne plus se faire d’illusion.

 

Ce qu’il nous faut de cœur

         malgré la gêne

         pour en surmonter la gêne quand il faudrait

   avoir du cœur comme pour de vrai

     mais de l’indulgence.

 

*

 

Nous voilà encore bien seuls

         elle et moi

         quand c’est la terre entière

                                                  plus lourde

                               de sens comme de millénaires

                               et que nous tremblons comme une feuille.  

 

Et l’on a beau

décortiquer chaque mot

et encore changer les serrures

c’est encore ces manières un peu gauches que nous avons

 comme de nous ressaisir

 et de se réapproprier la fin. 

 

*

 

On essaie de se faire une idée

        de l’idée que l’on se fait

        et de ce que l’homme peut être encore l’idée

si lui-même en avait la moindre idée

                                 s’il n’était pas dans ses prières

     aussi grossier que son pays est plat.

 

Et nous réalisons comme nous sommes

 à peine

 digne d’un seul vers

 et comme nous faisons défaut

 quand plus rien ne nous ferait défaut

 si l’on en partageait la faute comme la rançon.  

 

 

 

*

 

 

 

 

37.

« I suppose that’s what we do in death – sleep in wonder. »

D.H. Lawrence, Sons and Lovers.

 

 

 

 

 

il est des terres écrasées de soleil et des pays

où le soleil n’est autre qu’une divinité.

il est des forêts pleines de légendes

où il n’est plus maintenant

que quelques arbres que l’on aura bien voulu épargner.

 

 

il est des mondes où la terre et le ciel se confondent

avec la mer à l’horizon

mais sans plus rien à l’horizon.

                   et des iles tout au bord du monde avec leurs mystères

                   en connexion comme avec tout l’univers et leur histoire gravée dans la pierre.

 

 

il est des pays où des villes se dressent

bien au-dessus de l’horizon

comme dans un rêve.

des pays où la terre entière se soulève

où ses rêves ne pèsent pas plus que la vie elle-même.

 

 

il est des pays où la terre ne cesse de trembler

des villes où le ciel ne se laisse plus que deviner.

il est des mondes si policés qu’il y est interdit de s’aimer

et des terres où les morts ne connaissent toujours pas la paix

où il n’est pas plus d’horizon qu’il y a de limite à leurs maux.

 

 

il est des villes plein de monde où gravitent tant de monde

des villes qui sont le centre du monde et attirent encore plus de monde.

                   et il est des terres où l’on ne rencontre jamais personne

                   mais des hommes qui rivalisent avec le ciel

                   comme d’autres ne manquent à personne.

 

 

il est des villes qui empiètent sur l’horizon

loin sur l’horizon où il n’est plus de terre

                   où plus rien au monde ne se trouve derrière.

où la nature seule est encore extraordinaire

quand plus rien au monde encore ne se trouverait sur terre.

 

 

mais où plus loin encore qu’est l’horizon

le monde reste

malgré d’infinie révolution mais comme à l’autre bout du monde.

et nous voilà malgré tout plus qu’à l’horizon

mais où la nature est encore malgré tout l’envers du décor.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

38.

« Vois-tu, ma fille, ne te laisse pas chatouiller, ça ne porte pas chance. »

Emile Zola, Une page d’amour.

 

 

 

 

 

« Je me suis longtemps pris pour une princesse ;

   je croyais aux dragons, aux fées,

aux licornes et au prince charmant ;

  j’imaginais des châteaux immenses avec de grandes tours en verres

  des toilettes avec de longues traines

des cabinets tapissés de perles

des domestiques partout dans la maison et encore des généraux,

         et des jardins où il ferait bon ne plus penser à rien

         au comble de l’indifférence pour ses sujets.

 

   Je me serais encore bien vue en sirène

   mais je ne suis qu’une sorcière tout comme ma mère

et tout comme ma mère je vénère des idoles et je crois aux fantômes. »

 

*

 

« Je me suis longtemps pris pour le centre du monde

   et j’ai cru à toute sorte de chose

         comme en ma bonne étoile,

         à tous ces rêves que l’on faisait ensemble quand on ne faisait plus qu’un ;

   j’ai cru en l’avenir et en l’homme

   et à ce qui ne relève déjà plus de ce monde

         mais qui avec l’âge prend toujours un peu plus d’importance

         comme encore tout ce qui se détache du ciel

         tandis que le ciel nous excède ainsi que ton absence.

 

   J’ai longtemps cru être comme tout le monde

   mais tout comme mon père

je ne suis qu’un monstre que tout oppose. »   

 

*

 

« J’ai longtemps cru que la terre était ronde

   mais j’ai buté contre l’horizon comme devant l’éternel

         où seule grandit encore

         son ombre déjà trop grande ;

   je suis revenu de plus loin encore

   d’où les sens débordent

         sans plus même quitter ma chambre

mais d’où les sens abondent et se dérobent

tout en même temps en d’autres langues.

 

   Je voulais bien croire encore à ce que la nuit a d’irrésistible

   ou à ce que la mort a encore à nous offrir

mais comme n’importe qui je suis tout à fait immonde. »

 

*

                                                                                                    

« Nous avons tellement rêvé de ce que nous sommes

   l’objet même de sa propre expérience

         et alors même que l’on reprend corps

         la somme même de la totalité du nombre ;

    nous avons voulu concurrencer la seule perspective

    des astres dont nous sommes encore prisonniers

         comme si l’on voulait se rapprocher

         indéfiniment et invariablement de l’idéal

dont nous serons toujours privés quand on y songe.

 

   Mais nous déshabillant encore comme si l’on y croyait encore

   nous savons comme personne comment être au fond

aussi ignobles que l’on s’imagine être profond. »

 

 

 

*

 

 

39.

« L’inertie ne peut pas être dérivée directement de l’expérience, mais seulement par la pensée spéculative. »

Einstein/Infeld, L’évolution des idées en physique.

 

 

 

 

Aujourd’hui seul

le soleil met du temps à se lever

et des poubelles brûlent encore

où les foules se sont dispersées

 

J’ai encore et dans la bouche

ton corps entre les bras

 

Et l’on enchaine ses lectures

mais nous ne trouvons le sommeil que très difficilement

comme après bien des vers.

 

*

 

Aujourd’hui déjà

touche à sa fin

d’autres fronts se sont ouverts

et la nuit risque d’être longue

 

C’est fou ce que les filles me ressemblent

quand bien même elles n’auraient que mes yeux

 

         Et quand la vie serait ce qu’il y a de plus ordinaire

         et notre rencontre qu’un simple concours de circonstance

         c’est maintenant porter ton nom sans plus rien désirer d’autre.

 

                   *

 

L’automne arrive doucement

et presque comme une récompense

et c’est bientôt ton anniversaire

et il nous faut vendre la maison

 

Si troublant encore de jeunesse

on se chuchote encore bien des choses comme par derrière

 

Ne souffrant enfin plus de sa tragique fulgurance 

mais gorgé encore de soleil comme par son mensonge

comme la robe et l’uniforme encore se juxtaposent.

 

 

 

*

 

 

 

40.

« Qui apprend le latin ? Cela ne donne rien de bon. Il me faut un homme véritable, un artisan ou un journalier, pas un type instruit. »

Hermann Hesse, Knulp.

 

 

 

 

 

La raison devrait être seule

suffisante contre l’opinion

et les préjugés qui font de nous des monstres.

 

L’art parce qu’il n’a pas d’objet

se révèle sans concession

le produit renversé de nos prétentions

comme l’inverse de l’ambition.

 

*

 

Blottis l’un contre l’autre

Comme déjà en plein hivers

la nuit aussi nous sert d’alibi.

 

Et si l’on dépasse les bornes

C’est aussi parce que l’on est des bêtes

En même temps

Comme pris au piège.

 

*

 

 Flottant comme devant les fenêtres

le ciel est déjà beaucoup plus bas

et l’on est devant

 

comme devant sa propre réflexion

comme l’on est des après-midis entiers

à te baiser encore

les pieds.

 

 

 

*

 

 

 

 

41.

« Je ne sais pas me soûler. Je n’y suis jamais arrivé. Plus je bois, plus je suis lucide... Quelle horreur !»

Anna Gavalda, Je l’aimais.

 

 

 

 

 

S’aimer au-delà de toute censure et encore à genoux

Débordant le corps de l’autre et ses contradictions

Ses rêves remis à demain comme on garde un secret

Jusqu’à reculer le moment où il nous faudra se lever.

 

Combien de nuits avons-nous escaladées et conquises

Mais combien de fois avons-nous rivalisé avec la loi

Et combien de fois la nuit nous avons sombré

Tout entier encore emmêler.

 

Mais le temps encore de nous ressaisir et de nouveau

En prolonger les caresses comme après cent détours

Jusqu’en perdre l’équilibre dans les bras l’un de l’autre

Comme on trébuche sur l’horizon.

 

Mais comment nous tenons encore

Le monde en échec échouant nous-même

A tromper le monde alors que la terre s’enroule encore

Sur elle-même comme dans les paraboles les plus folles.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

42.

« Il faut arriver à ne vouloir être ni un révolutionnaire, ni un exemple, ni un martyr. C’est inconcevable. »

Hermann Hesse, Demian.

 

 

 

 

 

T’aimer n’est pas de trop

pour en grossir encore le monde

ni cela est assez

pour en créer un de nouveau.

 

T’aimer à en perdre haleine

jusqu’à ne plus rien reconnaitre

rien en dehors de plus

radicalement soi.

 

T’aimer un peu plus chaque jour

et toujours comme au premier jour

et partout dans la maison

mais encore.

 

T’aimer plus encore

mais encore comme personne

ou comme si cela ne suffisait pas

redoubler d’effort.

 

T’aimer comme en pleine nuit

sous les draps mais sans jamais en avoir fini 

mais jusqu’à défaillir comme dans un dernier cri

t’aimer alors sans plus un mot.

 

 

 

*

 

 

 

43.

« Bien avant tous les autres, jouer avec ces impressions des masses rocheuses, où vacillent les esprits et où l’animal surgit. »

Marcel Otte, Cro Magnon.

 

 

 

 

 

on le trouve bien

sympathique et gentil avec ça

il ne sait pas faire la cuisine

sans suivre une recette

mais il a d’autres qualités

bien trop longues à énumérer

 

on le trouve pareil

au volant d’un S.U.V.

toujours prêt à vous aider

à partager un verre

il a bien des atouts

                   d’autres cartes à jouer

 

égal à lui-même

il ne fait pas dans la dentelle

il sait très bien ce qu’il fait

et où cela mène

et parce qu’il a horreur de perdre

il sait vous gâcher la journée

 

il ne manque pas de talent

et il a la santé

         il fait très bien semblant

         et il aime se mettre au vert

                   dans sa résidence secondaire

                   à boire des jus d’orange

 

il connait bien ces villes

où l’amour n’est qu’en vitrine

         nul démon ne l’habite

         et il prend l’avion

                   sans se poser de question

                   il est si désarmant

 

il est si prévisible

et on finit par le trouver charmant

         bien qu’il passe pour une bille

         et rien ne l’amuse

                   s’il ne peut s’en moquer 

s’il lui faut réfléchir

 

il fait du vélo le weekend

si la météo le permet

         ou il pique du nez

         et on l’entend ronfler

                   il ne lit jamais de roman

                   il préfère tailler sa haie

 

et la poésie lui est indigeste

l’image que cela lui renvoie

         n’est pas faite pour lui plaire

         quand il lui pousserait des antennes

                   et s’il est odieux

                   c’est qu’il a les pieds sur terre

 

et on lui ressemblerait

si l’on ne choisissait pas       

         mieux ses mots

         si comme tout le monde

                   et ramenant tout à soi

si pour nous seuls

l’autre n’existait pas.

 

 

 

*

 

                  

44.

« Distracted and frustrated by the complexities of the married relation. »

David Lodge, The british Museum Is Falling Down.

 

 

 

 

Te rendre heureuse comme tu sais faire mon bonheur -

Comment n’aurions pu ne jamais nous rencontrer.

       mais

Le temps pourrait faire de nous des étrangers -

Une vie ne pas suffire et nos promesses échouer.

 

Tourner en rond comme tu me tournes la tête -

Entre tes lèvres mais te posséder toute entière.

et

Entre tes cuisses et la tête la première -

Se couper du monde avant de manquer d’air. 

 

Dans cette chambre où nous sommes tant de fois revenus -

         S’extraire comme de l’anonymat le plus sévère. 

                                     

Ivres encore de ses premiers vers - nous en avons plus

que l’essentiel mais les nombreux revers.

 

 

 

*

 

 

45.

« Rire de son ignorance, dans la sereine inconscience de sa propre nullité. »

Mark Twain, Un majestueux fossile littéraire.

 

 

 

 

 

la journée a été longue

et le ciel immense

(sans rien vouloir te cacher)

 

novembre se prête à tout

et l’océan n’est pas loin

(après toutes ces années)

 

j’écris trois lignes

comme pour passer le temps

(malgré la faim)

                      

et j’attends la nuit

plus que des miracles

(et reste à l’écart)

 

 

 

*

 

 

 

46.

« De tous les côtés, on lui pardonnait, en vertu de la fragilité de l’ordre. »

Kleist, La marquise d’O.

 

 

 

 

 

Je devrais me remettre

A écrire des vers

Comme d’autres enfilent des perles

   et ne plus quitter mon bureau.

 

Je mange que de la merde

Et je prends de la bouteille

Et la nuit ne m’est d’aucune aide

   pas plus qu’un roman.

 

N’ayant plus de malle

A trainer derrière moi

Je parcours maintenant les rues

   pour me réchauffer.

 

Sachant que seul

L’on a pas changé

Mais que l’on n’est pas seul

    mais résigné.

 

Ainsi

N’ayant pas plus d’esprit qu’un avoué

On préfère la bête

   à son humanité.   

 

 

 

*

 

 

47.

« Les chiens aussi sont sujets à l’ennui. »

Jim Harrison, La fille du fermier.

 

 

La tête toute encombrée de langues

Et tous ces maux qui se mélangent.

 

Ces veines que charrie encore l’infinie

Dans la perspective d’une fin définitive.

 

Ne plus rien omettre de ce que nous sommes

Comme pour en parcourir tout le spectre.

 

Ou finir par se voir

Collé une étiquette.

 

 

 

*

 

 

 

48.

« Dire les quatre coins de la terre puisqu’elle est ronde. »

Gustave Flaubert, Le dictionnaire des idées reçues.

 

 

C’est aujourd’hui ton anniversaire

Et une étoile porte ton nom

(n’ayant pas les moyens de t’offrir un diamant)

 

*

 

C’est maintenant une bague au doigt

                   L’inconnu dans toute sa démesure

                            (et savoir le ciel aussi vaste qu’indifférent)

 

*

 

C’est comme se gorger de soleil

                   Nous aimer sans faire semblant

                            (dans un lit qui n’est jamais assez grand)

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

49.

« Let the gods so speed me as i love. »

Shakespeare, Julius Caesar.

 

 

 

 

 

Des étoiles tellement plein les yeux

et la terre plus ronde qu’elle n’en a l’air,

mais la tête pleine de barbelés

faire encore preuve de légèreté.

 

 

On reste dans les strictes limites de ses lectures

empiétant sur son sommeil jusqu’à trouver le temps long,

                            quand le monde tournerait encore

                            comme une toupie.

 

 

Et notre histoire ainsi se prolonge

presque comme au ralentit,

                            jusqu’à en éprouver l’incroyable

                            perte d’adhérence.

                           

Mais comme si en marge de la création

ne restait plus que quelque approximation. 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

50.

« Quand on s’est bien gargarisé de toutes les littératures du monde, c’est la saveur de l’hellénisme qui demeure. »

Virginia Woolf, La chambre de Jacob.

 

 

 

 

 

Si tout était à refaire

                        Nous n’aurions jamais pris l’avion

                        ni une chambre d’hôtel

                        ni un chat à la maison

 

 

Du goudron plein les veines

                        A regarder par la fenêtre

                        tout en se brossant les dents

                        des foules amères et sans gène

 

 

Plus qu’une parenthèse

                        Comme si nous nous attendions 

                        à de nouveau se soustraire

                        à la précieuse indifférence des pierres

 

 

Ici tout manque

                        Autant de charme que de lumière

                        et nulle part où se perdre

                        sinon qu’à profiter de l’instant

 

 

 

*

 

 

 

 

51.

« Ce dénominateur commun de leur erreur, qui rendait tout absurde et étrangement honnête. »

Françoise Sagan, Dans un mois dans un an.

 

 

 

 

 

Tu as fait tes valises

un jour sans raison

tu es entrée dans une église

et j’ai fait mes cartons.

 

Sans toit comme sans aile

mais sous une pluie d’étoiles

ni autre divertissement

mais encore sous ta dictée.

 

On s’aimait sans mal

                                                  ni permission

voire à l’excès

ainsi de longues nuits

nous croyant à l’abri.

 

Aussi je n’ai rien

maintenant oublié

de ce que nous avons

d’unique et en commun

de gâté et de surfait.

 

Mais ainsi tu profites

depuis comme à bon escient

de tout comme d’un privilège.

 

Et je continue d’écrire

chaque jour comme avant

à défaut de vieillir.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

52.

« Tous ces systèmes balayés par le chagrin. »

Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy.

 

 

 

 

 

de mots greffés

comme à sa lampe de chevet -

         mais enfin l’essence.

 

l’âge maintenant

comme une massue -

descendre de manège.

 

le ciel encore

peut seul nous surprendre -

 nous emporter loin

comme bien après la fin.

 

on se tient par la main

comme pour garder l’équilibre -

         et l’on flotte entre les oreillers

                            sans plus rien se refuser.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

53.

«People in general either read poetry without any passion at all, or else overstep the modesty of nature, and read not as scholars. »

De Quincey, confessions of an english opium-eater.  

 

 

 

 

 

si la lecture est un luxe

et la nuit préférable

au temps qui passe.

 

si l’on fait exception

ou sans être irréprochable     

tout le jour ne suffit pas.

 

si ce soir alors

comme encore pour de vrai.

si le ciel

n’en réclame pas tant.

 

si devant l’impossible

ce ne peut être sans toi.

si au risque d’échouer

qu’il en soit autrement.

 

 

 

*

 

 

 

 

54.

« Le rire insultant et goguenard de la        sottise quand elle croit triompher. »

Balzac, Les Chouans.

 

 

 

 

 

Si les enfants ne se couchent pas

Trop tard

Après que toutes les trois

Aient chacun lu une histoire

 

Si tu n’es pas trop fatiguée

Si tu ne rentres pas

Trop tard

Si tu veux encore t’asseoir

 

*

 

Si tu es partagée

Si rien ne compte

Si à dessein

 

Si ce n’est qu’un rêve

Si rien de tout cela ne se répète

Ou si mon cul t’appartient

 

*

 

Si seulement d’en rire

Pour tout te dire

 

 

 

*

 

 

 

 

55.

« Le monde s’était rétréci à trois mètres devant moi. Il m’était tout à fait inutile de penser au-delà. »

Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond.

 

 

 

 

 

C’est un peu

Comme si l’on refusait de grandir

C’est tout à la fois

Ce qui nous anime

 

C’est tout

Ce qui nous fait sourire

C’est à quelque chose près

Tout ce qui nous épuise

 

C’est l’ennui

De ces longs après-midis

Ces mots totalement gratuits

Répétés à l’envie

 

C’est une fois de plus

Remonter les draps

C’est à la limite

Le ciel à portée de main

 

C’est enfin

Sinon inverser les rôles

Et nous renouveler

C’est encore jouer gros

 

 

 

*

 

 

 

 

 

56.

« Si j’étais instruit je boirais plus que de l’eau tu m’entends ! »

Celine, Londres.

 

 

 

 

 

Jour après jour et la nuit

Veiller

A rester entier

 

*

 

Où la veille encore

Et aujourd’hui

C’est l’estomac noué

 

*

 

Les semaines passent

Sans distraction aucune

Comme à l’ordinaire

 

*

 

Je reprends un vers

Et mes lectures

A défaut d’y voir clair

 

*

 

Je suis encore tout

En bas de l’échelle

Et à découvert

 

*

 

Pour en abréger les mots

J’ai un cutter

Et des somnifères

 

*

 

J’exaucerai alors

Ton dernier souhait

Et tu pourras respirer

 

 

 

*

 

 

 

57.

« Le beau ne se pense pas par un concept abstrait et pourtant ne laisse aucune place à l’imagination. »

Simone Weil, Leçons de philosophie.

 

 

 

 

 

J’écris puisqu’il faut bien aussi mourir

J’atteindrai peut-être au sublime

A quelque paroxysme ou on comble du ridicule

Ou j’aurai peut-être enfin prouvé le génie

Infailliblement humain ou comme circoncis.

 

Alors que l’homme obéit à sa nature on comprend

Mieux comme il est un monstre et une crapule

Ou comment l’artisan

De ce monde peut nous avoir trompé

Après l’avoir si souvent et mainte fois réfuté.

 

J’ai longtemps cru que l’on pouvait changer

Mais nous n’échangeons plus maintenant que des banalités

Ne rêvant plus tout à fait

De la même chose comme devant ce qui en plus

Nous hante pareil comme ce qui n’est déjà plus.

 

Mais ce qu’il y a de plus terrible encore

C’est qu’il n’y a rien là de si extraordinaire

Comme n’ayant plus qu’à se défendre du reste

Quand du reste il nous faudrait encore capituler

Et rejoindre la majorité comme si c’était là ça famille.

 

 

 

*

 

 

 

 

58.

« En considérant toujours l’esprit comme le principal ministre du cœur, la vie industrielle est, au fond, directement contraire à tout optimisme. »

Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif.

 

 

 

 

 

On continue d’apprendre

A s’aimer et avec l’âge

A ne plus se cacher.

 

C’est tout occupé d’elles

Basculer

Dans une autre dimension.

 

C’est leur silence

Au bout de la ligne

Et ne plus tenir

Que par un fil.

 

C’est en déjouer la pauvreté

Mais en vain

Et nous souffrons

Bien plus qu’assez.

 

 

 

*

 

 

 

 

59.

« C’était cela vie, c’était cela l’épreuve, c’était cela le but final de l’art : retrouver les siens, rentrer chez soi, recommencer sa vie. »

Boris Pasternak, Le docteur Jivago.

 

 

 

 

 

On fait le show

Pour autant qu’on aime

S’écouter parler ;

On dégueule quelques vers

Travaillés des jours durant

Sur la difficulté d’être,

 

Sur la place qu’occupe

La création, le roman,

un poème,

Schopenhauer, Wittgenstein,

Woolf et Arendt,

Ou alors on la ferme ;

 

Ou on intègre une secte

Quand on n’a pas l’intelligence

D’en finir

Comme cela va de soi

Ni d’être honnête

Tellement tout cela est bête.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

60.

« He was so shy a man even with his own child ! »

Anthony Trollope, The Warden.

 

 

 

 

 

Sans plus penser à rien

ni aux vacances qui approchent

à ma mère qui perd la tête

ou à ton père

 

nous marchons

comme sur du verre.

 

On n’imagine pas

tant il est facile

d’avoir des enfants

comme il est de vivre

 

sans et de se dégouter

de vieillir aussi. 

 

Et c’est tout juste

si l’on garde notre avance

alors on se lève tôt

ou l’on ouvre un livre

 

avant de reprendre

         le cours de sa vie ou ses pinceaux.

 

Jamais l’été n’a été si beau

ni l’année si longue

et il a plu encore

ce qui nous donne ainsi d’être

 

plus que des amants

         plus vivants que dans sa propre chair.

 

Et la nuit sans rien de mieux

à faire que de ne rien faire

on profite enfin

l’un de l’autre et de toutes les manières

 

inimaginables,

         et universelles. 

 

 

 

*

 

 

 

61.

« La ressemblance qui n’est point une propriété des choses n’est-elle pas le propre de la pensée ? »

Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe.

 

 

 

 

 

Pauvre clown à lunette 

Moitié chauve et toujours mal rasé

Ne lui parler pas d’Hugo ni de Dante

De l’alsace ni de la lorraine

Il n’a pas beaucoup été à l’école

 

Il a une jolie montre au poignet

Faut pas trop le bousculer

Ni trop lui en demander

Il est comme tout le monde

 

*

 

Sa photo dans le journal

Il entretient son image

Il a du réseau

S’il n’a pas d’éducation

Il n’aime rien tant que les kermesses

 

Les bals populaires

Les descentes en rappel et les montgolfières

C’est qu’il en a dans le ventre

Ce n’est pas un poète

 

*

 

La pauvreté de ses mots en dit long

Aussi il a un animal de compagnie

Il lit Pagnol, se fait des films, imite

Warhol n’en n’ayant rien compris

Pour l’essentiel il se répète

 

Se compare à ses voisins

Entretient sa piscine, il a des amis

Et l’on devine pour qu’il vote

Ou quelles sont ses idoles

 

*

 

Loin alors

De l’idéal d’être soi

Parce que sans objet il ne fait que suivre

Le cours des choses

Comme à l’armée

 

Et quand il peut

Être tout aussi mauvais

Il se trouve des excuses

Et il invoque la famille

 

*

 

Ce qui arrive alors

Ne manque pas

Quand au-delà du génie

Il faut encore avoir la foi

Ou faire preuve de philosophie

 

Quand rien n’arrive

Plus au hasard que par principe

Et que l’on se fout de toi

Pour se sentir vivre tandis qu’ils aboient.   

 

 

 

*

 

 

 

 

62.

« Préservée de l’angoisse du téléphone et des désordres de mon imagination. »

Simone de Beauvoir, Une mort très douce.

 

 

 

 

 

En même temps que le soleil se lève comme partout à la fois

mais tout aussi haut que le soleil se lève au-dessus de l’horizon

 

en même temps que le monde tourne tout autour de nous

mais tout aussi loin que le monde nous entraine plus encore dans le monde

 

bien plus loin qu’est le monde au-delà de tout horizon

comme si tout devait alors recommencer comme encore pour de vrai

 

où la nature est encore assez difficile pour se révéler

aussi fragile et inspirée autant que tu es belle et passionnée

 

où l’univers entier n’est plus qu’enfin cet unique frisson

et qu’entre tous les possibles se réalise tout ce qui nous est encore possible

 

comme jusqu’à se briser une aile comme en faisant la roue

et c’est l’univers entier comme en plein délire une fois la nuit tombée.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

63.

« Il n’est pas donné à l’homme de trouver deux fois une âme qui sympathise en tout avec la sienne. »

Constance de Salm, Vingt-Quatre Heures d’une femme sensible.

 

 

 

 

 

Si j’étais un homme

Mais je ne suis plus que ton amant

Si te couvrir de baisers

Et encore te faire rire

Remplaçaient la poésie

 

Si la beauté seule

Par quoi tout est possible

Lors que nous sommes seuls

Et que les draps sont en trop

Nous donnait raison

 

Si être libre

Mais n’en avoir que l’idée

C’était encore s’exposer

Si au fond

         C’est en faire l’expérience

 

Si apprendre à vivre

C’est alors réaliser

Plus que ce que sa nature

Nous laisse à désirer

De l’art et du progrès

 

Si je savais encore

Alors à quoi penser

Mais si en vérité

Tout est déjà plié

         Autant arrondir les angles

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

64.

« Elle avait dépassé de deux ans la limite d’âge des travailleurs, mais en fait jamais un animal n’avait profité de la retraite. »

George Orwell, La Ferme des animaux.

 

 

 

 

 

il sait

faire la part des choses

il ne manque pas d’adresse

bien que c’est un manche

et faire preuve de caractère,

il est mauvais

 

sans état d’âme                                   

il sait bien

choisir ses maitresses

selon ses intérêts

il est cruel,

il a le sens des priorités

 

c’est un homme

ce qu’il y a

de plus vulgaire

et l’on s’étonne

de tout,

malgré tout

 

il est aussi

sanguinaire que magnanime

il connait bien la vie

et déjà se concilie

les faits à venir,                

et en confesse déjà le pire.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

65.

« On a tort d’être honnête quand on aime, ou bien que c’est toi qui as raison, qu’on aime donc pas, alors. »

Luis Aragon, Les beaux quartiers.

 

 

 

 

 

On se fait toute sorte de promesses

on fait comme tout le monde –

on trouve le sommeil sur ordonnance

on accommode les restes de la veille,

on essaie de sauver les apparences.

 

On se fait toute sorte de promesses

jusqu’à en grossir les rêves –

on écrase une cigarette

on se fait aussi du mauvais sang,

et l’on y combine ses vers.

 

On se fait des promesses et c’est toujours

les mêmes malgré les ans et la couleur du ciel –

on se fait des promesses et l’on se répète

depuis tellement déjà longtemps,

combien l’on s’aime.

 

On se fait des promesses comme pour se rassurer

et que l’on renouvelle comme pour se consoler –

alors on se promet encore tout

autre chose et bien plus encore,

on se promet même de repousser la mort.

 

 

 

*

 

 

 

 

66.

« Grâce à l’étiquette… tout est arrangé. »

Arrabal, Lettre au général Franco.

 

 

 

 

 

Que les mots s’imposent d’eux-mêmes

Que repoussent le poème toujours plus loin

 

Que l’on soustrait ses vers du quotidien

Comme ce qu’il nous faut traduire

 

Qu’à l’exception de la folie il ne soit rien

Que de réel ni d’impossible

 

Que derrière l’illusion d’être soi

L’on anticipe encore sur sa propre faim

 

Que je ne puisse être qu’entre tes reins

La source de ton plaisir

 

Et qu’il y ait toujours plus de magie

Qu’il n’y a encore de maux à écrire

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

67.

« La gloire du devoir naît de la tête tranchée de l’amour. »

Milan Kundera, La vie est ailleurs.

 

 

 

 

 

Rêver de ce qui ne peut être

Jamais assez

Grand pour elles comme sur terre

 

*

 

Des étoiles plein les yeux

Mais pas assez

De ses deux yeux pour pleurer

 

*

 

Sculpter son propre vide

En raison de la place qui nous aura été laissé

Mais enfin instruit de son mystère

Là où on en était resté

 

*

 

Ou parce qu’il nous arrive encore de penser

Que tout ait une fin

Nous nous tenons encore par la main

Comme si de rien n’était

 

 

 

*

 

 

 

68.

« Une occasion particulière permettant à l’incrédulité de faire une dernière flambée avant que l’individu ne la surmonte définitivement. »

S. Freud, L’avenir d’une illusion.

 

 

 

 

 

je garde les enfants

après quoi il est tard

et la semaine est vite passée.

 

ensemble avec les filles

tous les midis

quand tu es en ville

ou avec des amies.

 

*

 

et tous les dimanches

et à la moindre occasion

on est chez tes parents

où on y abandonne les gosses.

 

et le matin très tôt

tu vas avec ta mère faire des vide-greniers

tandis que je révise déjà un vers.

 

 

*

 

j’ai enfin repeint le plafond

sans l’aide de tes frères

mais du haut d’un vieil escabeau.

 

je m’en vais maintenant

à l’école

et puis on va goûter

tranquille dans la cuisine tandis que je prépare le diner.

 

 

*

 

tu me racontes ta journée

une fois à la maison

puis confortablement installée

tu disparais.

 

et la nuit suffit à peine

pour encore se distraire et se tenir chaud

et se laisser aller.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

69.

« Thou hast sworn my love to be/ Thou hast sworn it more to me/ Then whither goest ?/ say, whither ? »

Shakespeare, A winter’s tale.

                                                                                   

 

 

 

 

C’est un long monologue

Rien qui ne soit plus

Alors qu’un mensonge

Mais la démonstration

 

L’idée que nous sommes bien plus

Quand nous ne pouvons qu’être soi.

 

*

 

C’est les bras nus

Chargés de promesses

N’être sur terre

Ni du matin ni de ce monde

 

Mais c’est encore après avoir frôler le soleil

D’encore un peu plus près.

 

*

 

Et c’est des fins de mois

Toujours plus difficile.

 

 

 

*

 

 

 

70.

« J’ai des valeurs et ça aussi ça me fait faire de la bile. A quoi diable est-ce que je ne pense pas ? »

Ernest Hemingway, 50.000 Dollars.

 

 

 

 

 

J’ai tant d’amants

à l’hygiène parfois plus que douteuse

mais d’un tel sérieux

qu’ils en deviennent presque attachants.

Je n’ai jamais su aimer

personne d’autre autre que toi

peu importe combien elles essayent

de te ressembler.

Ils égalent

rien que par leur nombre

ce qu’ils sont les uns les autres.

L’éternité échoue

ainsi comme de nous convaincre

et nous laisse comme en suspens.

 

 

Ils sont parfois si bêtes

bien plus que ce à quoi l’on s’attend

et rien ne change.

Quand rien n’aurait de sens

mais que ce qui pèse reste

encore ce qui demeure

comme ce vers quoi l’on tend.

Mais ce qu’ils sont drôles

tout gonflés qu’ils sont

à tout prendre au mot

à se donner encore de grands airs.

Et au risque de se faire trahir

nous voilà maintenant réduit

à infiniment peu de chose.

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

71.

« The spirit of affection naturally respected a secret which was guarded so severly. This might be supposed a Spanish tale. »

Thomas De Quincey, Selected Writings.

 

 

 

 

 

Une autre nuit sans aile

Mais comme allant de la chambre au bureau

Sous un plafond de verre.

 

Connaitre la grâce sans le pardon

Aussi bien le succès que la trahison

Et finir encore à l’asile.

 

Ecrire est une malédiction

Dont la poésie n’est que l’excédent

Et l’art nous entraine

D’abord pas le fond.

 

Et maintenant comme sous perfusion

Et diminué plus que de moitié

Il n’est plus rien à attendre

A quoi nous ne prêtons encore attention.

 

 

 

***

 

 

 

 

 

 

Charles-Emile Grolien.  

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