« Au dernier moment, comme un système logique. »
Roland Barthes, L’empire des signes.
Aléa.
1.
« J’avais besoin que tu sois folle, j’en avais besoin pour ne pas mourir. »
George Bataille. Le Bleu du Ciel.
Cette belle gueule
d’ange tout de travers
mais tout aussi bête
que ses travers.
De l’avance que l’on a
sur nos lectures et la nuit
sauver les apparences
quand bien même il n’y aurait rien
à sauver.
Emporter au fond de soi
Le peu qu’il reste de son mensonge
Cette part égale
Qui faisait son charme.
Et réfléchir encore
A quand nous vivions tous
Dans des cavernes
Mais comme des hommes
Et comme en pleine création.
*
2.
« Ce don qui tient sa promesse et qui ne trahit pas est en soi une éthique. »
François Cheng. Cinq méditations sur la beauté.
la veille de l’alignement des astres
le monde comme il tourne sur lui-même
s’abimer dans la réflexion de ses propres abimes
buter enfin contre l’horizon
de l’autre côté
l’éternité se repose
et les étoiles sans nombre
ne nous sont d’aucune distraction
on se rappelle leurs premiers mots
toutes ses nuits passées à lire
entre deux biberons
et la magie que nous entretenions
on alimentait le ciel de ses rêves
prêt à retourner la terre entière
maintenant on trie les poubelles
et on accommode les restes.
*
3.
« Je voulais l’aimer de toutes mes forces. Mais toutes mes forces n’y suffisaient pas. »
Katherine Pancol. J’étais là avant.
Dans sa prodigieuse et exubérante banalité
Reformuler l’éternel et y mêler ses rêves.
Infiniment plus dans tes bras et comme écrasés
Nous savons tromper l’ennui devant sa télé.
Et quand la mort nous donnerait enfin raison
Nous n’aurons rien connu d’autre du monde.
4.
« Le poète se dit encore qu’il aimerait baiser… il se dit bien autre chose encore. »
Desnos. La liberté ou l’amour.
La mort à portée de main
Mais profiter de son élan
De ce que la mort encore
Emprunte à la poésie.
On sort d’un rêve
Comme on finit un poème
Où se confond la fin
Avec la veille.
Mais ses rêves se répètent
Comme au-delà des mots
Et sa nature se révèle
En même temps que le jour se lève.
*
5.
« L’idée que l’aversion, l’amertume et le mépris puissent jamais prendre en mon cœur la place qu’y tint jadis l’amour m’attriste profondément. »
Oscar Wilde. De Profundis.
Des hommes on préfère
Celui qui de ses mains
Se passe d’un cerveau
Mais ne manque pas d’ambition
Ni de sommeil
Celui qui passe
Encore pour un saint
Quand en vérité
Il n’y a pas pire espèce
En réalité
Et l’on devine
Comme à chaque fois qu’il peut rendre service
A quoi s’en tenir
Aussi ne se gêne-t-il pas
Et nous donne encore des leçons
Il ne dépasse jamais
L’inertie de son objet
N’a jamais rien retenu
D’un seul poème
N’ayant pas plus d’esprit que d’éthique
Mais on l’aime aussi
Pour ses combines
Quand ne pouvant plus desserrer les dents et que seul
L’on ne désir rien de plus
Sinon que d’être seul
*
6.
« Si je pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit de ses pas. »
J. L. Borges. l’aleph.
C’était compter
Mais à rebours.
C’était sans compter
Compter pour rien.
C’est avoir touché le fond
Et creuser encore.
Prendre la peine
D’aller à ta rencontre.
C’était ensemble
Être de trop.
Mais ensemble
Comme sa condition.
C’est finir un vers
Un poème après l’autre.
Et tout relire
Ce qui déjà se voit proscrit.
Et la nuit
Plus qu’elle ne pèse.
C’est maintenant
Prendre le temps.
*
7.
« Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaitre la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. »
Saint-Exupéry. Terre des hommes.
Te rattraper d’un vers à l’autre
Alors que l’on a à peine
De quoi vivre
Te rattraper d’un rêve à l’autre
Tandis que les astres se compliquent
Et que le ciel reste
Irrésolument vide
Te rattraper d’un vers à l’autre
Quand l’on est déjà de trop
Ou encore sous morphine
Te rattraper d’un rêve à l’autre
Comme dans un lit trop grand
Et s’accorder encore le temps
D’avoir de l’avenir
*
8.
« Aimer ses ennemis (c’est en cela […] le véritable héroïsme de l’homme en société) et mille autres choses. »
Restif de La Bretonne. Lettre d’un singe aux êtres de son espèce.
De longues heures ainsi passées
Des nuits entières sans intimité
Dans une chambre aux fenêtres condamnées
Et tout le long de longs couloirs
A guetter encore le ciel
Et ne pouvoir s’y faire
Ce qui est humain et ne l’est déjà plus
Et je continue d’écrire ce qui ressemble à de la poésie
A croire encore en l’avenir comme aux ovnis
*
9.
« Han sier ingen verdens ting. »
Henrik Ibsen. Vildanden.
se bouffer le cul
ou se suffire à soi-même
mais gros
de son autre moitié
passer une main dans tes cheveux
ou te serrer de plus près
en pleine nuit
comme entre tes cuisses
des ailes dans le dos
déborder chaque trait
ou prendre le risque
de se faire encore baiser
un verre à la main
ou devant son clavier
avant de s’écrouler
d’autant d’inepties et de statistiques
alors que les dieux expirent
sans être remplacés
et que la mort s’orchestre
sans plus de poésie
*
10.
« Il s’agit de ce qu’on aime et connaît, de ce qui est bouleversant… »
Jacques Prévert. HebdRomadaires.
Tu rentres si souvent
Tard bien après manger
De ces réunions de travail
Des dossiers plein les bras
de chiffres et de mandats
C’est à peine
Si nous avons le temps
D’échanger un mot
De prendre un café
et je reste avec les enfants
Tu as rdv chez le médecin
Et demain une fois arrêté
Nous aurons quelques jours
Pour nous rattraper
et profiter du jardin
*
Ce midi
A courir sous la pluie
De l’école à la maison
Toutes les trois
comme des folles
Je retourne au bureau
La vaisselle est faite
Ce matin je faisais encore une lessive
Et j’ai étendu le linge après
avoir fait la poussière
Et le soleil aussi
Peut maintenant traverser
Plus facilement
Les chambres et le salon
et la salle de bain brille
*
Enfin sous les draps
Et entre les plis
Nous savons encore
Les mots qu’il faut se dire
et qu’on ne se lasse de répéter
Tout est rangé
Et les devoirs sont faits
On traine
Les volets sont fermés
on joue parterre
Elles auront pris leur bain
Et lavé les cheveux
Nettoyé les oreilles
Et coupé les ongles
et leurs sacs sont prêts
*
Je sors les poubelles
Je ramasse quelques jouets
Sans faire de bruit
Et je m’installe avec un livre
et un verre
Je leur ai encore raconté plein d’histoires
Où l’on ne trouve ni loup ni clown
Et j’invente à mesure
Des personnages qui nous ressemblent
sans le côté obscur mais d’autant plus vrai
On les entend encore rire et chuchoter
Et se relever sur la pointe des pieds
Pour aller encore boire une dernière fois
Avant enfin d’aller se coucher
et nous les laissons faire exprès pour encore les embrasser
*
11.
« Un peu au-delà de moi-même, en ce rendez-vous qui sera nôtre. »
St-Exupéry. Lettre à un otage.
Ne plus pouvoir quitter sa chambre qu’en fauteuil
Et toute la journée à regarder dehors
Autant la circulation que le temps qui passe
Et la nuit prier
Ou s’abrutir devant la télé
On se force à vieillir
Comme pour se rassurer
N’ayant plus rien
A rajouter à ce qui n’est plus
Que des souvenirs
Je reste ainsi
Et dans ma bulle et sans causer
Ou je me noie encore dans un vers
Comme on aimait se perdre
A se caresser et en baisers
Où dans l’extravagante lucidité de sa présence
Quand l’azur n’est plus d’aucun intérêt
Retourner alors à ses lectures
Comme s’il nous fallait encore douter
De ne plus avoir à douter de rien
*
12.
« Anaxgoras appelle le bon principe Intelligence, et le mauvais Infini.»
Plutarque. Traité d’Isis et d’Osiris.
On marche sur la tête
Ou l’on se révèle
Tout pareil
Comme nous l’avons toujours été
Tandis que le jour se lève
Et que la nuit déborde
De ses grands yeux
Son propre accident
La nature controversée
De ses sentiments
Ne nous aimant
Jamais assez ni de trop
Où les maux se dérobent
Chaque fois aux sens
A son idylle
Comme le plus simplement du monde
Mais en multiplier les mots
Et nous rattraper encore
Comme par la taille
Et en répéter l’expérience
De nouveau les forfaits
Jusqu’à ce que l’on nous trompe
D’un côté comme de l’autre
Et que tout ne soit plus que de sa faute
*
13.
« Proposer le silence avec des mots. »
Sartre. Plaidoyer pour les intellectuels.
A la manière qu’a le jour de tomber
Chaque fois de la même manière
Et la lune de se projeter
Comme à l’angle d’une fenêtre
Et de nous rire au nez
Inventer de nouveaux jeux
Bien que les règles soient toujours les mêmes
Mais comme pour se distraire
De l’exigeante intempestivité d’un vers
Comme s’il était le dernier
Se faire encore surprendre
Alors que le soleil se lève
Et le soleil se lève
Et nous nous laissons surprendre
Plus loin que la fin elle-même
Alors que son ombre seule
Se prolonge encore
Bien au-delà de sa chambre
Et de ce que les maux encore nous délivrent
De sa propre évidence comme une éclaircie
*
14.
« Nous irons nous faire roi quelque part. »
Marivaux, Arlequin poli par l’amour.
Aspiré par le fond
Je n’offre plus aucune résistance
Bien qu’il n’y ait pas de fond
Mais l’immensité derrière ses volets fermés
Autrement ne rien faire
Occupé toute la journée
A ranger des livres et boire du café
*
Les enfants sont grands et vivent à l’étranger
Où l’on s’est nous aussi rencontrés
Si jeunes il y a déjà plus de 20 ans
Tu es mariée maintenant
Et tu auras beaucoup voyagé
Où le sable est brulant et les montagnes enneigées
Où l’horizon se perd au-delà de l’horizon
*
Enfermé à clef comme dans 20m²
Avant que la faim ne l’emporte
Ou nous rappelle
La place que prend un vers
Alors que tout s’emmêle et qu’il pleut averse
Et que la planète se dérègle
Attendre encore que le téléphone sonne ou du courrier
*
« Tout le reste doit être vrai, c’est-à-dire d’une illusion complète. »
Rivarol. Pensées, répliques et portraits.
elle ne craint pas tant
nous décevoir tant
elle a de l’emprise
et lui se donne des airs
et ne manque pas d’aplomb
tout aussi lâche qu’indifférent
et je souris bêtement
Rome aussi a eu ses traitres
et plus de gladiateurs que de poètes
*
16.
« Je n’ai pas assez de foi en la nature humaine pour être anarchiste. »
John Dos Passos, l’initiation d’un homme.
Des milliers de kilomètres passés
Au-dessus du ciel
Pour enfin voir le soleil se coucher
Et l’on s’étonne du mal
Plus grand que tout
Mais dont la cause nous est égale
(Tu le croiras ou pas
mais le journal télévisé de 13 heures commence
par des nouvelles du père noël…
Et il y a de quoi se demander
si nous n’avons jamais fait de progrès.)
Ça se prend en photos ou ça fait des vidéos
Ça se prend pour une princesse ou un héros
Et ça se suffit avec la moitié
D’un neurone
Et parce que ça leur est bien assez
Ça passe le reste du temps à la salle de sport
(Tu imagines
tout occupés qu’ils sont
d’eux-mêmes
et devoir passer du temps en leur compagnie
quand on peut être seul avec un livre)
Ils ont toujours cette haleine sucrée
Et ils aiment encore se déguiser
Voire presque se mettre en danger
Pour autant qu’il n’y a pas de risque pour leur santé
C’est autant des aventuriers
Que de fins gourmets
(Aussi tu sais
par expérience
ce que c’est que de se faire baiser
comme entre nous en exaspérer les faits
et ce sans plus en éprouver le moindre effet)
*
17.
« Il n’y a que la licorne que l’on ne puisse pas reconnaître. »
Borges/Guerrero, manuel de zoologie fantastique.
Regarder les étoiles
et du bout des doigts
comme si de rien n’était
tel un jour d’été avant l’orage
derrière quelque vitre sale
tout redessiner
De mémoire
plus qu’il nous en faut
hanté comme par ton souvenir
usée d’en avoir autant
essuyé les maux
et maintenant y survire
Quand en pleine nuit
c’est en nage que nous nous relevons
c’est en partie
l’intransigeante difficulté d’être
c’est au fond
ne plus rien omettre
Et c’est à peine
si j’arrive encore à peser
toujours dans la balance
mais personne ne devine
toutes les larmes que tu as pu causer
toutes ses larmes que je n’ai pu sécher
*
« Quand il n’y a plus de solution, reste la vengeance. Vieille histoire qui aggrave l’histoire. »
Daniel Pennac, Messieurs les enfants.
maintenant que le soleil est tombé
et que ses pleurs ont séché
en silence
c’est en silence
que l’on se remaquille et que l’on se change
maintenant renvoyé à sa seule présence
comme à sa propre intimité
une fois suffit
et il aura suffit d’une fois
pour que nous n’échangions plus que des banalités
on aiguise ses vers
sans manquer de naturel plus que de retenue
et nous nous retrouvons
autrement nues
en son inaltérable proximité
mais infiniment à tes côtés
comme si nous étions invincibles
où seuls au monde
nous sommes plus grands encore
que n’est encore son mensonge
*
19.
« Il est des absences définitives, qui révèlent l’insuffisance de tout ce qui nous est proposé. »
Ferdinand Alquié, Le désir d’éternité.
Chacun devant son verre
Ou rêvant à plein poumon
Quand ils sont des millions
A mendier leur misère
Des maux que l’on tait
Cette partie de soi
Plus qu’éternelle
Gros de son autre moitié
Si une vie pouvait suffire
Si seulement
L’on coïncidait avec l’avenir
S’il y avait encore de quoi en rire
On écrit
Des vers que personne ne lit
On corrige quelques poèmes
Dans sa prison de verre
De longs poèmes
Jusqu’à retrouver le sommeil
En même temps
Que l’on se recroqueville sur soi-même
*
20.
« Octobre aux teintes d’or a décliné vers le triste Novembre. »
T.S. Eliot, Meurtre dans la cathédrale.
On se connait par cœur
Pour tout autant en manquer
Ou nous serions libres et juste
Fabuleux
Tous ces rêves que nous faisons
Comme en pleine nuit
Mais à deux
Pour y donner vie
Ce qui fait aussi de nous
Des monstres
Malgré tout
Merveilleux et spectaculaires
Et sa réflexion se poursuit
Aussi bien
Au-delà des leçons qu’on en tire
Que dessus son oreiller
*
21.
« C’est un processus épuisant de se concentrer sur le sens exact des mots. Nous ne pouvons nous résoudre à n’être plus que de froid monticule de verre. »
Virginia Woolf, Essais choisis.
C’est encore avoir de la veine que de flotter
Au-dessus de sa propre merde.
On fait des gosses puis un jour tout a changé
Et l’on se révèle tout pareil pire que l’on a été.
Nos convictions s’arrêtent là où commence notre confort
C’est qu’à défaut d’esprit on ne manque pas d’égo.
On s’ouvre au monde tellement on lui ressemble
Faut dire que l’on n’est jamais aussi mauvais qu’en société.
*
Mais ce qu’il faut redoubler
De talent
Pour se passer de génie.
Et comme on se passe de poésie
Certains se passent même de cerveau
Et se rendent ainsi la vie plus facile.
Ne souffrent plus
Aucune comparaison ni aucun malaise
Bien au contraire.
Mais à leur rire se mesure
Plus que leur mépris
Mais leur médiocrité.
Et nous n’avons à nous faire d’illusion
Quant à leurs intentions tellement ils sont
Idiots.
Aussi ils savent
Se rendre quand ils veulent
Tout aussi abjects que vils et grossiers.
Toutes ces fois où il nous a été donné et la nuit
De nous retirer sans concurrence plus qu’avec son objet.
Chaque jour qu’il a fallu se trainer comme à tes côtés
Dans cet univers où nous sommes encore tout entier.
Où comme personne nous sommes encore
Liés à cette partie de soi la plus éphémère.
Mais en partie et plus que la moitié
Le choix de toute une vie pour autant de sacrifice.
Mais avec l’âge et à force de cérémonies
Dans l’abandon même de ce qui encore nous est ravi.
*
Tu souris maintenant au moindre mot
Et c’est à peine
S’ils méritent notre attention
Tellement ils sont
Aussi veules qu’arrogants.
Ils se moquent bien
De ce qui fait un roman
De ce que la mort nous réserve
Du sang qu’ils versent
Et de tourner en rond.
Ils ont autant d’imagination que de projet
Ils sont tout
Aussi frustrés qu’ils peuvent être cruels
Mais d’une écrasante légèreté
Par-dessus le marché.
*
Trop humain pour n’être que de chair
L’on est vite
Complice de leurs crimes
A moins que l’on préfère
Se brûler la cervelle.
Ou l’on évite
Tant il sue, se goinfre et se répète
Tant il est vulgaire
De se prêter au jeu
Quand l’on ne pourrait pas s’en défaire.
On voudrait prendre de la hauteur
Partager encore le même rêve
Tous les deux
Mais on lévite
Comme on garde l’équilibre.
*
Ou l’on en fait plus qu’à sa tête
Pour ne plus faire d’effort
Ou l’on en vient à tout gâcher
Comme si l’on n’y pouvait rien.
Ou nous nous retrouvons
A l’envers d’un maux.
*
« On n’aime pas bien ce qu’on aime pas plus que tout. »
Maurice Merleau-Ponty, sens et non-sens.
et en immortaliser les traits
mais l’inénarrable
et sans intermédiaire
le temps d’un vers
couper court à ses rêves
ouvrir grand portes et fenêtres
chasser son ombre
de sous ses paupières
et reprendre du café
rivaliser avec l’éternel
comme avec les ténèbres
à l’exact opposé du monde
où la terre n’est plus
encombrée par ses morts
ni plus
par ce qui se passe dehors
ni dans sa tête
*
23.
« Les animaux les plus agressifs sont également les plus portés à la parade. »
Edward T. Hall, La dimension cachée.
alors que nous refaisons surface
étranger comme à soi-même
mais encore irrésistiblement soi
les dieux s’amusent
toujours un peu
avec chacun de nous.
*
alors que la planète se rétrécie
comme depuis notre rencontre
derrière
la maigre épaisseur de ses carreaux
on essaie encore
de faire pencher la balance
plus que de moitié
ou de n’y prêter plus aucune attention.
*
24.
« L’obscur sentiment d’un devoir plus grand que celui d’aimer. »
Antoine de St-Exupéry, Vol de nuit.
Ça va à la salle deux trois fois par semaine
Ça fait du vélo, du paddle, de l’aviron
Ça se prend pour une vedette et ça l’ouvre trop
Et à la moindre occasion vous tourne le dos
Ça passe tous ses étés au bord d’une piscine
Et l’hiver à faire des crêpes
Et encore tous ses weekends à élaborer des plans
Pour l’année prochaine
Ça lit son horoscope et les faits divers
Ça boit des cocktails et raffole de fruit de mer
Ça n’a pas peur de se compromettre
Et ça vous la fait à l’envers sans se poser de question
Ça a le sommeil profond
Et ça n’aime rien tant que se faire tirer le portrait
Ça n’a jamais rien lu d’Artaud
Mais ça croit aux extraterrestres comme aux fantômes
Ça promène son chien et ça a des lapins
Et encore des poules dans son jardin
Ça aime la chanson et ça va
Au cinéma pour autant que ça reste de la fiction
Ça fait parfois du cheval et ça se rend à des expos
C’est à peine si ça c’est tenir un stylo
Mais ça peut toujours avoir une grosse moto
Et ça ne va au théâtre que pour faire impression
Ça n’a d’autre souci que de bien s’habiller
Ça suit la météo de près et ça possède encore un chéquier
Ça n’admire rien tant que son reflet
Et ça préfère encore aller au restaurant que dans un musée
Ça se joue de tout et ça ne se prive de rien
Et ne fait que jurer pour un rien
Et c’est à grand renfort de testostérones
Qu’il essaie de passer pour un homme
Ça ne rend de compte à personne
Mais sa réputation est déjà faite
Alors ça finit par faire votre procès
Et pèse tout comme ça peut vous écraser
Ça remonte le temps
Et ça ne vous laisse aucune chance
Et tandis que ça fait son numéro et encore la déco
Ça croit en conjurer le sort
Et les journées sont longues et les nuits difficiles
Quand on ne sait pas à quoi s’en tenir
Avant que n’arrive quelque messie
Pour en racler toute la merde dont nous faisons l’économie
Et quand on ne vit plus que par procuration
Et que ce qui nous rend mortel à la fois nous console
Ou qu’il nous faille se priver l’un de l’autre
Je me replonge dans Husserl, Kierkegaard, Kant ou Hegel.
*
25.
« Il n’est rien au monde qu’[il] sache faire ou ait envie de faire ; il lui suffit d’avoir de quoi fumer. »
Italo Calvino, Le corbeau vient le dernier.
C’est en raison du nombre contempler le ciel
Mais s’allonger dans l’herbe sans rien en tirer.
C’est son fantôme que rien n’empêche
Un corps dont il ne reste plus que le dessin à la craie.
C’est un vers après l’autre
Ce n’est parfois que son ombre.
C’est à mesure que ses traits se creusent
C’est l’oubli plus cruel que la mort elle-même.
C’est dans des cages d’escaliers
Ou dans quelque grand lit défait.
C’est par la force des choses
Se remettre sinon à rêver.
C’est se reprendre là où on a pêché
C’est encore de longues balades en forêt.
C’est avoir les crocs
Et c’est t’aimer encore de trop.
C’est tout
Ce à quoi nous faisons défaut.
C’est sinon l’imposture
Tout ce mâle qui manque de relief.
C’est tout ce dont seules
Ce qui nous arrivent encore de mieux.
C’est encore avoir du cœur
Quand c’est tout ce qu’il nous reste.
*
26.
« Toute théorie de la peinture est une métaphysique. »
Merleau-Ponty, L’œil et l’Esprit.
Entre Ezra Pound et Fernando Pessoa
Ces six derniers mois
J’ai sauté bien des repas
De Vincent Van Gogh à Frida Kahlo
Tout ce qui sort du cadre s’aligne
D’autant plus de zéros
Claudel contre Camille
Rodin contre Camille
Et son matricule en dit tout aussi long
On tire à balles réelles
Ou l’on se réfugie dans la prière
Et ni Einstein ni Arendt ne nous sont d’aucune aide
Et ton nom encore sur les lèvres
Je reprends
E.M. Cioran ainsi que Platon.
*
27.
« Cimenter nos draps de plaisir et saturé l’air de ce que nous sommes ! »
Daniel Pennac, Aux fruits de la passion.
chacun leur tour
ils tondent ou ils bricolent
pire que des gosses
sans plus de conversation que d’imagination
ils filent
le dimanche au marché
en vélo tout rajeunit de santé
mais c’est aussi à leur haleine qu’on les reconnait
ils ont l’accent forcé de leur métier
plein de dévotion et d’imprécations
et n’ont d’autre luxe que leur manque d’éducation
ils vont bien sûr au zoo
et dans des parcs d’attractions
et font encore du bateau ou de l’aviron
et ils iraient volontiers
visiter quelque pays en guerre
prendre des photos et le soir à l’hôtel
profiter du folklore et briller encore
ils préfèrent à l’art ce que la mode a de plus délétère
et se couvrent de tatouages
tellement ils sont ordinaires
tu comprends alors
quelle haine sincère ils vouent aux poètes
et le grotesque de notre situation
comme en ces périodes de fêtes et d’absolution
et c’est pourquoi nous sommes ainsi
livrés à nous-même tandis qu’ils sont en plein délire
les seuls à désobéir aux dieux et à s’en réjouir
*
28.
« Nous sommes maintenant dans la vie comme des singes à l’opéra. »
Michel Houellebecq, Non réconcilié.
Tourner la page
sans plus faire d’histoire.
Une jambe dans le plâtre
le sommeil est long à venir.
Je termine un poème
mille fois et me relis à haute voix.
On met longtemps à guérir
on observe la circulation et l’avancée des travaux.
On obéit à l’évolution
on envisage toutes les fins possibles.
Et l’on chevauche quelque dragon
tout en restant sur le dos.
*
29.
« Examiner non le mystère métaphysique de la conjonction, mais le mystère pratique et politique de la séparation. »
Giorgio Agamben, L’ouvert.
N’être plus que ce que l’on est
et d’autant plus
pour l’avoir toujours été
et maintenant de trop.
Ne plus douter le moins du monde
de la fin du monde
chaque jour égalant le précédant
demain sera aussi le dernier.
A défaut d’avoir les mots
écrire de longs poèmes
de ceux qui en disent long
mais ne sont d’aucun attrait.
Et comme si cela ne suffisait pas
une seule fois aura suffi
à vider les maux de leur secret
à les extirper de leur indissociable moitié.
Mais l’on se lasse de tout
où ne pouvant être différent
on retourne sa veste
pour se retrouver pareil tout comme avant.
Mai son mal est plus grand
et ne vit que de ses excès
mais comme un fait exprès
s’excuse encore de sa lâcheté.
*
30.
« Plus ils seront proches de la perfection de leur métier, moins pourra-t-on discerner l’ouvrage de l’un de celui de l’autre. Il en est tout au contraire des artistes. »
Paul Valery, Degas.
c’est tout
ce à quoi l’on nous a fait croire
c’est en soigner les maux
c’est tout
ce qui déborde de la page
et que l’on tait
c’est tout
ce sur quoi nous avons mis une croix
ce dont nous n’avons pas idée
et l’émoi
retranché d’entre ces vers
quand devant tout ce que son corps suggère
il ne reste plus
qu’elles et moi
et c’est tout
*
31.
« Le jour fut long comme une année et plein d’une ivresse sans nuit. »
Victor Segalen, Stèles.
N’en plus finir d’observer par la fenêtre
Le calme une fois revenu plus haut dans le ciel
Possédé par la folle idée d’être soi
Privé de l’infini possibilité d’être soi
Et passer des heures devant son clavier
à tout recopier.
Continuer de remplir sa bibliothèque
Où chaque lecture s’additionne entres elles
Et prend la poussière
Mais de cette irréconciliable tentation d’être
C’est toute la place que prend un vers
et les faits les plus ordinaires.
Ou l’on finit par se réfugier dans la prière
Et dans la passion contraignante d’être soi
Alors que les maux se répètent
Sans jamais trouver d’écho
Mais parce que l’on ne peut s’extraire
de la seule exaspération de ses rêves.
Comme l’on essuie d’un revers
Tout ce qui nous rappelle
L’unanimité d’être soi
Dans l’exacerbation de sa propre personne
Comme n’appartenant plus à ce monde
que par négligence ou analogie.
*
32.
« De même qu’il redoutait alors de ne pouvoir jamais être véritablement un homme, de même il craint aujourd’hui de ne plus pouvoir jamais être un véritable poète. »
Stephan Zweig, Le Combat avec le démon.
et nous irons pieds nus
je m’allongerai les seins nus
et tu y déposeras un vers.
Eternels vertébrés
au milieu de nos draps défaits
sur tes lèvres
tous mes rêves sont encore à l’arrêt.
Alors que le ciel s’étire
loin au-dessus
des bancs d’école et de ses figures
ton empire se précise.
Et l’on se surprend encore
à chercher ses mots
au moment même de défaillir
et de reprendre vie.
*
33.
« Une certaine représentation de la société qui serait réellement humanisée. »
Raymond Aron, Le spectateur engagé.
De la somme de nos lectures
à l’objet de notre rencontre
De ce qu’exige les dieux
et son irrévocable nudité
*
Toutes ces villes bâties sans gaité
et ces ruines du bout du monde
Cette implacable nature
toutes ses figures du passé
*
Une fois sous les draps
récupérer notre retard
Jusque très tard
comme bien après la fin
*
34.
« C’est grossir mes douleurs que de taire ma peine. »
Corneille, L’Illusion comique.
Je suis mort
comme un lundi
sans que le ciel
n’ait plus rien à ajouter
et le ciel était si beau
qu’il n’y avait plus rien sinon au ciel
pour retenir mon attention
Je suis mort
une première fois
il y a de cela bien longtemps
Après une longue nuit
à engloutir bien des kilomètres
et alors que le soleil se levait
ça n’avait pas encore suffi.
Je suis mort
une nouvelle fois
et encore une fois
de trop
Un jour après l’école
comme s’il m’attendait
déjà à l’avance
Je suis mort
sans qu’entre temps
cela ne soit pour de vrai
comme par accident
Mais tant de fois
sans manquer à personne
que j’ai pu recommencé.
Laissant au vers
le soin
de faire que je remue encore
je suis mort si souvent
Par manque de fantaisie
je suis
d’entre les morts
mort depuis si longtemps
Que ça me fait marrer
comme à chaque fois
que ma tête explose
ou que l’on se voit
cloué au lit
comme revenir encore à soi.
*
35.
« Du rêve : ainsi du couple : naît l’obscène du ménage. »
Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux.
Si le monde nous est égal
et les rues pleines de monde
Si l’amour et ses chaines
nous retiennent encore
Si rien ne manque
de ce qui arrive
Quand il en manquerait
plus de la moitié
Quand tout ce qui arrive
ne fait que passer.
*
Nous reconnaissant à peine
comme ce que nous avons été
Mais alignant les mots
comme pour les vider de leur secret
Au risque d’être soi
plus gros que son autre moitié
On lit un livre
sans trop rien y comprendre
à bien y penser.
*
Et arrive un jour
où l’on ne cicatrise plus
Où l’on tâte l’avenir
à l’aide d’une canne
Où il nous faut boire encore
de grands bols de café
Nous débattant devant son miroir
comme entre ses draps
Comme si revenant à soi
Nous n’attendions plus que les secours.
*
36.
« L’éternel conflit entre la connaissance telle qu’elle se conçoit et l’ignorance telle qu’elle se vit. »
Daniel Pennac, Chagrin d’école.
superficiel
pour avoir encore des choses à se dire
et jeune encore
à moins de ne plus se faire d’illusion.
Ce qu’il nous faut de cœur
malgré la gêne
pour en surmonter la gêne quand il faudrait
avoir du cœur comme pour de vrai
mais de l’indulgence.
*
Nous voilà encore bien seuls
elle et moi
quand c’est la terre entière
plus lourde
de sens comme de millénaires
et que nous tremblons comme une feuille.
décortiquer chaque mot
et encore changer les serrures
c’est encore ces manières un peu gauches que nous avons
comme de nous ressaisir
et de se réapproprier la fin.
*
On essaie de se faire une idée
de l’idée que l’on se fait
et de ce que l’homme peut être encore l’idée
si lui-même en avait la moindre idée
s’il n’était pas dans ses prières
aussi grossier que son pays est plat.
Et nous réalisons comme nous sommes
à peine
digne d’un seul vers
et comme nous faisons défaut
quand plus rien ne nous ferait défaut
si l’on en partageait la faute comme la rançon.
*
37.
« I suppose that’s what we do in death – sleep in wonder. »
D.H. Lawrence, Sons and Lovers.
il est des terres écrasées de soleil et des pays
où le soleil n’est autre qu’une divinité.
il est des forêts pleines de légendes
où il n’est plus maintenant
que quelques arbres que l’on aura bien voulu épargner.
il est des mondes où la terre et le ciel se confondent
avec la mer à l’horizon
mais sans plus rien à l’horizon.
et des iles tout au bord du monde avec leurs mystères
en connexion comme avec tout l’univers et leur histoire gravée dans la pierre.
il est des pays où des villes se dressent
bien au-dessus de l’horizon
comme dans un rêve.
des pays où la terre entière se soulève
où ses rêves ne pèsent pas plus que la vie elle-même.
il est des pays où la terre ne cesse de trembler
des villes où le ciel ne se laisse plus que deviner.
il est des mondes si policés qu’il y est interdit de s’aimer
et des terres où les morts ne connaissent toujours pas la paix
où il n’est pas plus d’horizon qu’il y a de limite à leurs maux.
il est des villes plein de monde où gravitent tant de monde
des villes qui sont le centre du monde et attirent encore plus de monde.
et il est des terres où l’on ne rencontre jamais personne
mais des hommes qui rivalisent avec le ciel
comme d’autres ne manquent à personne.
il est des villes qui empiètent sur l’horizon
loin sur l’horizon où il n’est plus de terre
où plus rien au monde ne se trouve derrière.
où la nature seule est encore extraordinaire
quand plus rien au monde encore ne se trouverait sur terre.
mais où plus loin encore qu’est l’horizon
le monde reste
malgré d’infinie révolution mais comme à l’autre bout du monde.
et nous voilà malgré tout plus qu’à l’horizon
mais où la nature est encore malgré tout l’envers du décor.
*
38.
« Vois-tu, ma fille, ne te laisse pas chatouiller, ça ne porte pas chance. »
Emile Zola, Une page d’amour.
« Je me suis longtemps pris pour une princesse ;
je croyais aux dragons, aux fées,
aux licornes et au prince charmant ;
j’imaginais des châteaux immenses avec de grandes tours en verres
des toilettes avec de longues traines
des cabinets tapissés de perles
des domestiques partout dans la maison et encore des généraux,
et des jardins où il ferait bon ne plus penser à rien
au comble de l’indifférence pour ses sujets.
Je me serais encore bien vue en sirène
mais je ne suis qu’une sorcière tout comme ma mère
et tout comme ma mère je vénère des idoles et je crois aux fantômes. »
*
« Je me suis longtemps pris pour le centre du monde
et j’ai cru à toute sorte de chose
comme en ma bonne étoile,
à tous ces rêves que l’on faisait ensemble quand on ne faisait plus qu’un ;
j’ai cru en l’avenir et en l’homme
et à ce qui ne relève déjà plus de ce monde
mais qui avec l’âge prend toujours un peu plus d’importance
comme encore tout ce qui se détache du ciel
tandis que le ciel nous excède ainsi que ton absence.
J’ai longtemps cru être comme tout le monde
mais tout comme mon père
je ne suis qu’un monstre que tout oppose. »
*
« J’ai longtemps cru que la terre était ronde
mais j’ai buté contre l’horizon comme devant l’éternel
où seule grandit encore
son ombre déjà trop grande ;
je suis revenu de plus loin encore
d’où les sens débordent
sans plus même quitter ma chambre
mais d’où les sens abondent et se dérobent
tout en même temps en d’autres langues.
Je voulais bien croire encore à ce que la nuit a d’irrésistible
ou à ce que la mort a encore à nous offrir
mais comme n’importe qui je suis tout à fait immonde. »
*
« Nous avons tellement rêvé de ce que nous sommes
l’objet même de sa propre expérience
et alors même que l’on reprend corps
la somme même de la totalité du nombre ;
nous avons voulu concurrencer la seule perspective
des astres dont nous sommes encore prisonniers
comme si l’on voulait se rapprocher
indéfiniment et invariablement de l’idéal
dont nous serons toujours privés quand on y songe.
Mais nous déshabillant encore comme si l’on y croyait encore
nous savons comme personne comment être au fond
aussi ignobles que l’on s’imagine être profond. »
*
39.
« L’inertie ne peut pas être dérivée directement de l’expérience, mais seulement par la pensée spéculative. »
Einstein/Infeld, L’évolution des idées en physique.
Aujourd’hui seul
le soleil met du temps à se lever
et des poubelles brûlent encore
où les foules se sont dispersées
J’ai encore et dans la bouche
ton corps entre les bras
Et l’on enchaine ses lectures
mais nous ne trouvons le sommeil que très difficilement
comme après bien des vers.
*
Aujourd’hui déjà
touche à sa fin
d’autres fronts se sont ouverts
et la nuit risque d’être longue
C’est fou ce que les filles me ressemblent
quand bien même elles n’auraient que mes yeux
Et quand la vie serait ce qu’il y a de plus ordinaire
et notre rencontre qu’un simple concours de circonstance
c’est maintenant porter ton nom sans plus rien désirer d’autre.
*
L’automne arrive doucement
et presque comme une récompense
et c’est bientôt ton anniversaire
et il nous faut vendre la maison
Si troublant encore de jeunesse
on se chuchote encore bien des choses comme par derrière
Ne souffrant enfin plus de sa tragique fulgurance
mais gorgé encore de soleil comme par son mensonge
comme la robe et l’uniforme encore se juxtaposent.
40.
« Qui apprend le latin ? Cela ne donne rien de bon. Il me faut un homme véritable, un artisan ou un journalier, pas un type instruit. »
Hermann Hesse, Knulp.
La raison devrait être seule
suffisante contre l’opinion
et les préjugés qui font de nous des monstres.
L’art parce qu’il n’a pas d’objet
se révèle sans concession
le produit renversé de nos prétentions
comme l’inverse de l’ambition.
*
Blottis l’un contre l’autre
Comme déjà en plein hivers
la nuit aussi nous sert d’alibi.
Et si l’on dépasse les bornes
C’est aussi parce que l’on est des bêtes
En même temps
Comme pris au piège.
*
Flottant comme devant les fenêtres
le ciel est déjà beaucoup plus bas
et l’on est devant
comme devant sa propre réflexion
comme l’on est des après-midis entiers
à te baiser encore
les pieds.
*
41.
« Je ne sais pas me soûler. Je n’y suis jamais arrivé. Plus je bois, plus je suis lucide... Quelle horreur !»
Anna Gavalda, Je l’aimais.
S’aimer au-delà de toute censure et encore à genoux
Débordant le corps de l’autre et ses contradictions
Ses rêves remis à demain comme on garde un secret
Jusqu’à reculer le moment où il nous faudra se lever.
Combien de nuits avons-nous escaladées et conquises
Mais combien de fois avons-nous rivalisé avec la loi
Et combien de fois la nuit nous avons sombré
Tout entier encore emmêler.
Mais le temps encore de nous ressaisir et de nouveau
En prolonger les caresses comme après cent détours
Jusqu’en perdre l’équilibre dans les bras l’un de l’autre
Comme on trébuche sur l’horizon.
Mais comment nous tenons encore
Le monde en échec échouant nous-même
A tromper le monde alors que la terre s’enroule encore
Sur elle-même comme dans les paraboles les plus folles.
*
42.
« Il faut arriver à ne vouloir être ni un révolutionnaire, ni un exemple, ni un martyr. C’est inconcevable. »
Hermann Hesse, Demian.
T’aimer n’est pas de trop
pour en grossir encore le monde
ni cela est assez
pour en créer un de nouveau.
T’aimer à en perdre haleine
jusqu’à ne plus rien reconnaitre
rien en dehors de plus
radicalement soi.
T’aimer un peu plus chaque jour
et toujours comme au premier jour
et partout dans la maison
mais encore.
T’aimer plus encore
mais encore comme personne
ou comme si cela ne suffisait pas
redoubler d’effort.
T’aimer comme en pleine nuit
sous les draps mais sans jamais en avoir fini
mais jusqu’à défaillir comme dans un dernier cri
t’aimer alors sans plus un mot.
*
43.
« Bien avant tous les autres, jouer avec ces impressions des masses rocheuses, où vacillent les esprits et où l’animal surgit. »
Marcel Otte, Cro Magnon.
on le trouve bien
sympathique et gentil avec ça
il ne sait pas faire la cuisine
sans suivre une recette
mais il a d’autres qualités
bien trop longues à énumérer
on le trouve pareil
au volant d’un S.U.V.
toujours prêt à vous aider
à partager un verre
il a bien des atouts
d’autres cartes à jouer
égal à lui-même
il ne fait pas dans la dentelle
il sait très bien ce qu’il fait
et où cela mène
et parce qu’il a horreur de perdre
il sait vous gâcher la journée
il ne manque pas de talent
et il a la santé
il fait très bien semblant
et il aime se mettre au vert
dans sa résidence secondaire
à boire des jus d’orange
il connait bien ces villes
où l’amour n’est qu’en vitrine
nul démon ne l’habite
et il prend l’avion
sans se poser de question
il est si désarmant
il est si prévisible
et on finit par le trouver charmant
bien qu’il passe pour une bille
et rien ne l’amuse
s’il ne peut s’en moquer
s’il lui faut réfléchir
il fait du vélo le weekend
si la météo le permet
ou il pique du nez
et on l’entend ronfler
il ne lit jamais de roman
il préfère tailler sa haie
et la poésie lui est indigeste
l’image que cela lui renvoie
n’est pas faite pour lui plaire
quand il lui pousserait des antennes
et s’il est odieux
c’est qu’il a les pieds sur terre
et on lui ressemblerait
si l’on ne choisissait pas
mieux ses mots
si comme tout le monde
et ramenant tout à soi
si pour nous seuls
l’autre n’existait pas.
*
44.
« Distracted and frustrated by the complexities of the married relation. »
David Lodge, The british Museum Is Falling Down.
Te rendre heureuse comme tu sais faire mon bonheur -
Comment n’aurions pu ne jamais nous rencontrer.
mais
Le temps pourrait faire de nous des étrangers -
Une vie ne pas suffire et nos promesses échouer.
Tourner en rond comme tu me tournes la tête -
Entre tes lèvres mais te posséder toute entière.
et
Entre tes cuisses et la tête la première -
Se couper du monde avant de manquer d’air.
Dans cette chambre où nous sommes tant de fois revenus -
S’extraire comme de l’anonymat le plus sévère.
où
Ivres encore de ses premiers vers - nous en avons plus
que l’essentiel mais les nombreux revers.
*
45.
« Rire de son ignorance, dans la sereine inconscience de sa propre nullité. »
Mark Twain, Un majestueux fossile littéraire.
et le ciel immense
(sans rien vouloir te cacher)
novembre se prête à tout
et l’océan n’est pas loin
(après toutes ces années)
j’écris trois lignes
comme pour passer le temps
(malgré la faim)
et j’attends la nuit
plus que des miracles
(et reste à l’écart)
*
46.
« De tous les côtés, on lui pardonnait, en vertu de la fragilité de l’ordre. »
Kleist, La marquise d’O.
Je devrais me remettre
A écrire des vers
Comme d’autres enfilent des perles
et ne plus quitter mon bureau.
Je mange que de la merde
Et je prends de la bouteille
Et la nuit ne m’est d’aucune aide
pas plus qu’un roman.
N’ayant plus de malle
A trainer derrière moi
Je parcours maintenant les rues
pour me réchauffer.
Sachant que seul
L’on a pas changé
Mais que l’on n’est pas seul
mais résigné.
Ainsi
N’ayant pas plus d’esprit qu’un avoué
On préfère la bête
à son humanité.
*
« Les chiens aussi sont sujets à l’ennui. »
Jim Harrison, La fille du fermier.
La tête toute encombrée de langues
Et tous ces maux qui se mélangent.
Ces veines que charrie encore l’infinie
Dans la perspective d’une fin définitive.
Ne plus rien omettre de ce que nous sommes
Comme pour en parcourir tout le spectre.
Ou finir par se voir
Collé une étiquette.
*
48.
« Dire les quatre coins de la terre puisqu’elle est ronde. »
Gustave Flaubert, Le dictionnaire des idées reçues.
C’est aujourd’hui ton anniversaire
Et une étoile porte ton nom
(n’ayant pas les moyens de t’offrir un diamant)
*
C’est maintenant une bague au doigt
L’inconnu dans toute sa démesure
(et savoir le ciel aussi vaste qu’indifférent)
*
C’est comme se gorger de soleil
Nous aimer sans faire semblant
(dans un lit qui n’est jamais assez grand)
*
49.
« Let the gods so speed me as i love. »
Shakespeare, Julius Caesar.
Des étoiles tellement plein les yeux
et la terre plus ronde qu’elle n’en a l’air,
mais la tête pleine de barbelés
faire encore preuve de légèreté.
On reste dans les strictes limites de ses lectures
empiétant sur son sommeil jusqu’à trouver le temps long,
quand le monde tournerait encore
comme une toupie.
Et notre histoire ainsi se prolonge
presque comme au ralentit,
jusqu’à en éprouver l’incroyable
perte d’adhérence.
Mais comme si en marge de la création
ne restait plus que quelque approximation.
*
50.
« Quand on s’est bien gargarisé de toutes les littératures du monde, c’est la saveur de l’hellénisme qui demeure. »
Virginia Woolf, La chambre de Jacob.
Si tout était à refaire
Nous n’aurions jamais pris l’avion
ni une chambre d’hôtel
ni un chat à la maison
Du goudron plein les veines
A regarder par la fenêtre
tout en se brossant les dents
des foules amères et sans gène
Plus qu’une parenthèse
Comme si nous nous attendions
à de nouveau se soustraire
à la précieuse indifférence des pierres
Ici tout manque
Autant de charme que de lumière
et nulle part où se perdre
sinon qu’à profiter de l’instant
*
51.
« Ce dénominateur commun de leur erreur, qui rendait tout absurde et étrangement honnête. »
Françoise Sagan, Dans un mois dans un an.
un jour sans raison
tu es entrée dans une église
et j’ai fait mes cartons.
Sans toit comme sans aile
mais sous une pluie d’étoiles
ni autre divertissement
mais encore sous ta dictée.
On s’aimait sans mal
ni permission
voire à l’excès
ainsi de longues nuits
nous croyant à l’abri.
Aussi je n’ai rien
maintenant oublié
de ce que nous avons
d’unique et en commun
de gâté et de surfait.
Mais ainsi tu profites
depuis comme à bon escient
de tout comme d’un privilège.
Et je continue d’écrire
chaque jour comme avant
à défaut de vieillir.
*
52.
« Tous ces systèmes balayés par le chagrin. »
Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy.
de mots greffés
comme à sa lampe de chevet -
mais enfin l’essence.
l’âge maintenant
comme une massue -
descendre de manège.
le ciel encore
peut seul nous surprendre -
nous emporter loin
comme bien après la fin.
on se tient par la main
comme pour garder l’équilibre -
et l’on flotte entre les oreillers
sans plus rien se refuser.
*
53.
«People in general either read poetry without any passion at all, or else overstep the modesty of nature, and read not as scholars. »
De Quincey, confessions of an english opium-eater.
si la lecture est un luxe
et la nuit préférable
au temps qui passe.
si l’on fait exception
ou sans être irréprochable
tout le jour ne suffit pas.
si ce soir alors
comme encore pour de vrai.
si le ciel
n’en réclame pas tant.
si devant l’impossible
ce ne peut être sans toi.
si au risque d’échouer
qu’il en soit autrement.
*
« Le rire insultant et goguenard de la sottise quand elle croit triompher. »
Balzac, Les Chouans.
Si les enfants ne se couchent pas
Trop tard
Après que toutes les trois
Aient chacun lu une histoire
Si tu n’es pas trop fatiguée
Si tu ne rentres pas
Trop tard
Si tu veux encore t’asseoir
*
Si tu es partagée
Si rien ne compte
Si à dessein
Si ce n’est qu’un rêve
Si rien de tout cela ne se répète
Ou si mon cul t’appartient
*
Si seulement d’en rire
Pour tout te dire
*
55.
« Le monde s’était rétréci à trois mètres devant moi. Il m’était tout à fait inutile de penser au-delà. »
Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond.
C’est un peu
Comme si l’on refusait de grandir
C’est tout à la fois
Ce qui nous anime
C’est tout
Ce qui nous fait sourire
C’est à quelque chose près
Tout ce qui nous épuise
C’est l’ennui
De ces longs après-midis
Ces mots totalement gratuits
Répétés à l’envie
C’est une fois de plus
Remonter les draps
C’est à la limite
Le ciel à portée de main
C’est enfin
Sinon inverser les rôles
Et nous renouveler
C’est encore jouer gros
*
56.
« Si j’étais instruit je boirais plus que de l’eau tu m’entends ! »
Celine, Londres.
Jour après jour et la nuit
Veiller
A rester entier
*
Où la veille encore
Et aujourd’hui
C’est l’estomac noué
*
Les semaines passent
Sans distraction aucune
Comme à l’ordinaire
*
Je reprends un vers
Et mes lectures
A défaut d’y voir clair
*
Je suis encore tout
En bas de l’échelle
Et à découvert
*
Pour en abréger les mots
J’ai un cutter
Et des somnifères
*
J’exaucerai alors
Ton dernier souhait
Et tu pourras respirer
*
57.
« Le beau ne se pense pas par un concept abstrait et pourtant ne laisse aucune place à l’imagination. »
Simone Weil, Leçons de philosophie.
J’écris puisqu’il faut bien aussi mourir
J’atteindrai peut-être au sublime
A quelque paroxysme ou on comble du ridicule
Ou j’aurai peut-être enfin prouvé le génie
Infailliblement humain ou comme circoncis.
Alors que l’homme obéit à sa nature on comprend
Mieux comme il est un monstre et une crapule
Ou comment l’artisan
De ce monde peut nous avoir trompé
Après l’avoir si souvent et mainte fois réfuté.
J’ai longtemps cru que l’on pouvait changer
Mais nous n’échangeons plus maintenant que des banalités
Ne rêvant plus tout à fait
De la même chose comme devant ce qui en plus
Nous hante pareil comme ce qui n’est déjà plus.
Mais ce qu’il y a de plus terrible encore
C’est qu’il n’y a rien là de si extraordinaire
Comme n’ayant plus qu’à se défendre du reste
Quand du reste il nous faudrait encore capituler
Et rejoindre la majorité comme si c’était là ça famille.
*
58.
« En considérant toujours l’esprit comme le principal ministre du cœur, la vie industrielle est, au fond, directement contraire à tout optimisme. »
Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif.
On continue d’apprendre
A s’aimer et avec l’âge
A ne plus se cacher.
C’est tout occupé d’elles
Basculer
Dans une autre dimension.
C’est leur silence
Au bout de la ligne
Et ne plus tenir
Que par un fil.
C’est en déjouer la pauvreté
Mais en vain
Et nous souffrons
Bien plus qu’assez.
*
59.
« C’était cela vie, c’était cela l’épreuve, c’était cela le but final de l’art : retrouver les siens, rentrer chez soi, recommencer sa vie. »
Boris Pasternak, Le docteur Jivago.
On fait le show
Pour autant qu’on aime
S’écouter parler ;
On dégueule quelques vers
Travaillés des jours durant
Sur la difficulté d’être,
Sur la place qu’occupe
La création, le roman,
un poème,
Schopenhauer, Wittgenstein,
Woolf et Arendt,
Ou alors on la ferme ;
Ou on intègre une secte
Quand on n’a pas l’intelligence
D’en finir
Comme cela va de soi
Ni d’être honnête
Tellement tout cela est bête.
*
60.
« He was so shy a man even with his own child ! »
Anthony Trollope, The Warden.
ni aux vacances qui approchent
à ma mère qui perd la tête
ou à ton père
nous marchons
comme sur du verre.
On n’imagine pas
tant il est facile
d’avoir des enfants
comme il est de vivre
sans et de se dégouter
de vieillir aussi.
Et c’est tout juste
si l’on garde notre avance
alors on se lève tôt
ou l’on ouvre un livre
avant de reprendre
le cours de sa vie ou ses pinceaux.
Jamais l’été n’a été si beau
ni l’année si longue
et il a plu encore
ce qui nous donne ainsi d’être
plus que des amants
plus vivants que dans sa propre chair.
Et la nuit sans rien de mieux
à faire que de ne rien faire
on profite enfin
l’un de l’autre et de toutes les manières
inimaginables,
et universelles.
*
61.
« La ressemblance qui n’est point une propriété des choses n’est-elle pas le propre de la pensée ? »
Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe.
Moitié chauve et toujours mal rasé
Ne lui parler pas d’Hugo ni de Dante
De l’alsace ni de la lorraine
Il n’a pas beaucoup été à l’école
Il a une jolie montre au poignet
Faut pas trop le bousculer
Ni trop lui en demander
Il est comme tout le monde
*
Sa photo dans le journal
Il entretient son image
Il a du réseau
S’il n’a pas d’éducation
Il n’aime rien tant que les kermesses
Les bals populaires
Les descentes en rappel et les montgolfières
C’est qu’il en a dans le ventre
Ce n’est pas un poète
*
La pauvreté de ses mots en dit long
Aussi il a un animal de compagnie
Il lit Pagnol, se fait des films, imite
Warhol n’en n’ayant rien compris
Pour l’essentiel il se répète
Se compare à ses voisins
Entretient sa piscine, il a des amis
Et l’on devine pour qu’il vote
Ou quelles sont ses idoles
*
Loin alors
De l’idéal d’être soi
Parce que sans objet il ne fait que suivre
Le cours des choses
Comme à l’armée
Et quand il peut
Être tout aussi mauvais
Il se trouve des excuses
Et il invoque la famille
*
Ce qui arrive alors
Ne manque pas
Quand au-delà du génie
Il faut encore avoir la foi
Ou faire preuve de philosophie
Quand rien n’arrive
Plus au hasard que par principe
Et que l’on se fout de toi
Pour se sentir vivre tandis qu’ils aboient.
*
62.
« Préservée de l’angoisse du téléphone et des désordres de mon imagination. »
Simone de Beauvoir, Une mort très douce.
En même temps que le soleil se lève comme partout à la fois
mais tout aussi haut que le soleil se lève au-dessus de l’horizon
en même temps que le monde tourne tout autour de nous
mais tout aussi loin que le monde nous entraine plus encore dans le monde
bien plus loin qu’est le monde au-delà de tout horizon
comme si tout devait alors recommencer comme encore pour de vrai
où la nature est encore assez difficile pour se révéler
aussi fragile et inspirée autant que tu es belle et passionnée
où l’univers entier n’est plus qu’enfin cet unique frisson
et qu’entre tous les possibles se réalise tout ce qui nous est encore possible
comme jusqu’à se briser une aile comme en faisant la roue
et c’est l’univers entier comme en plein délire une fois la nuit tombée.
*
63.
« Il n’est pas donné à l’homme de trouver deux fois une âme qui sympathise en tout avec la sienne. »
Constance de Salm, Vingt-Quatre Heures d’une femme sensible.
Si j’étais un homme
Mais je ne suis plus que ton amant
Si te couvrir de baisers
Et encore te faire rire
Remplaçaient la poésie
Si la beauté seule
Par quoi tout est possible
Lors que nous sommes seuls
Et que les draps sont en trop
Nous donnait raison
Si être libre
Mais n’en avoir que l’idée
C’était encore s’exposer
Si au fond
C’est en faire l’expérience
Si apprendre à vivre
C’est alors réaliser
Plus que ce que sa nature
Nous laisse à désirer
De l’art et du progrès
Si je savais encore
Alors à quoi penser
Mais si en vérité
Tout est déjà plié
Autant arrondir les angles
*
64.
« Elle avait dépassé de deux ans la limite d’âge des travailleurs, mais en fait jamais un animal n’avait profité de la retraite. »
George Orwell, La Ferme des animaux.
il sait
faire la part des choses
il ne manque pas d’adresse
bien que c’est un manche
et faire preuve de caractère,
il est mauvais
sans état d’âme
il sait bien
choisir ses maitresses
selon ses intérêts
il est cruel,
il a le sens des priorités
c’est un homme
ce qu’il y a
de plus vulgaire
et l’on s’étonne
de tout,
malgré tout
il est aussi
sanguinaire que magnanime
il connait bien la vie
et déjà se concilie
les faits à venir,
et en confesse déjà le pire.
*
65.
« On a tort d’être honnête quand on aime, ou bien que c’est toi qui as raison, qu’on aime donc pas, alors. »
Luis Aragon, Les beaux quartiers.
On se fait toute sorte de promesses
on fait comme tout le monde –
on trouve le sommeil sur ordonnance
on accommode les restes de la veille,
on essaie de sauver les apparences.
On se fait toute sorte de promesses
jusqu’à en grossir les rêves –
on écrase une cigarette
on se fait aussi du mauvais sang,
et l’on y combine ses vers.
On se fait des promesses et c’est toujours
les mêmes malgré les ans et la couleur du ciel –
on se fait des promesses et l’on se répète
depuis tellement déjà longtemps,
combien l’on s’aime.
On se fait des promesses comme pour se rassurer
et que l’on renouvelle comme pour se consoler –
alors on se promet encore tout
autre chose et bien plus encore,
on se promet même de repousser la mort.
*
66.
« Grâce à l’étiquette… tout est arrangé. »
Arrabal, Lettre au général Franco.
Que les mots s’imposent d’eux-mêmes
Que repoussent le poème toujours plus loin
Que l’on soustrait ses vers du quotidien
Comme ce qu’il nous faut traduire
Qu’à l’exception de la folie il ne soit rien
Que de réel ni d’impossible
Que derrière l’illusion d’être soi
L’on anticipe encore sur sa propre faim
Que je ne puisse être qu’entre tes reins
La source de ton plaisir
Et qu’il y ait toujours plus de magie
Qu’il n’y a encore de maux à écrire
67.
« La gloire du devoir naît de la tête tranchée de l’amour. »
Milan Kundera, La vie est ailleurs.
Rêver de ce qui ne peut être
Jamais assez
Grand pour elles comme sur terre
*
Des étoiles plein les yeux
Mais pas assez
De ses deux yeux pour pleurer
*
Sculpter son propre vide
En raison de la place qui nous aura été laissé
Mais enfin instruit de son mystère
Là où on en était resté
*
Ou parce qu’il nous arrive encore de penser
Que tout ait une fin
Nous nous tenons encore par la main
Comme si de rien n’était
*
68.
« Une occasion particulière permettant à l’incrédulité de faire une dernière flambée avant que l’individu ne la surmonte définitivement. »
S. Freud, L’avenir d’une illusion.
après quoi il est tard
et la semaine est vite passée.
ensemble avec les filles
tous les midis
quand tu es en ville
ou avec des amies.
*
et tous les dimanches
et à la moindre occasion
on est chez tes parents
où on y abandonne les gosses.
et le matin très tôt
tu vas avec ta mère faire des vide-greniers
tandis que je révise déjà un vers.
*
j’ai enfin repeint le plafond
sans l’aide de tes frères
mais du haut d’un vieil escabeau.
je m’en vais maintenant
à l’école
et puis on va goûter
tranquille dans la cuisine tandis que je prépare le diner.
*
tu me racontes ta journée
une fois à la maison
puis confortablement installée
tu disparais.
et la nuit suffit à peine
pour encore se distraire et se tenir chaud
et se laisser aller.
*
69.
« Thou hast sworn my love to be/ Thou hast sworn it more to me/ Then whither goest ?/ say, whither ? »
Shakespeare, A winter’s tale.
C’est un long monologue
Rien qui ne soit plus
Alors qu’un mensonge
Mais la démonstration
L’idée que nous sommes bien plus
Quand nous ne pouvons qu’être soi.
*
C’est les bras nus
Chargés de promesses
N’être sur terre
Ni du matin ni de ce monde
Mais c’est encore après avoir frôler le soleil
D’encore un peu plus près.
*
Et c’est des fins de mois
Toujours plus difficile.
*
70.
« J’ai des valeurs et ça aussi ça me fait faire de la bile. A quoi diable est-ce que je ne pense pas ? »
Ernest Hemingway, 50.000 Dollars.
J’ai tant d’amants
à l’hygiène parfois plus que douteuse
mais d’un tel sérieux
qu’ils en deviennent presque attachants.
Je n’ai jamais su aimer
personne d’autre autre que toi
peu importe combien elles essayent
de te ressembler.
Ils égalent
rien que par leur nombre
ce qu’ils sont les uns les autres.
L’éternité échoue
ainsi comme de nous convaincre
et nous laisse comme en suspens.
Ils sont parfois si bêtes
bien plus que ce à quoi l’on s’attend
et rien ne change.
Quand rien n’aurait de sens
mais que ce qui pèse reste
encore ce qui demeure
comme ce vers quoi l’on tend.
Mais ce qu’ils sont drôles
tout gonflés qu’ils sont
à tout prendre au mot
à se donner encore de grands airs.
Et au risque de se faire trahir
nous voilà maintenant réduit
à infiniment peu de chose.
*
71.
« The spirit of affection naturally respected a secret which was guarded so severly. This might be supposed a Spanish tale. »
Thomas De Quincey, Selected Writings.
Une autre nuit sans aile
Mais comme allant de la chambre au bureau
Sous un plafond de verre.
Connaitre la grâce sans le pardon
Aussi bien le succès que la trahison
Et finir encore à l’asile.
Ecrire est une malédiction
Dont la poésie n’est que l’excédent
Et l’art nous entraine
D’abord pas le fond.
Et maintenant comme sous perfusion
Et diminué plus que de moitié
Il n’est plus rien à attendre
A quoi nous ne prêtons encore attention.
***
Charles-Emile Grolien.
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